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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/581

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Cette leçon d’honnêteté donnée aux fonctionnaires les inquiète. L’administration serait-elle forcée de renoncer à la prévarication ? On chercherait en vain depuis deux mille ans une révolution aussi grave. La prévarication telle qu’elle existe en Chine est en effet un système financier. L’équilibre est établi par l’action de deux ressorts antagonistes : le dol et la révolte. Lorsqu’une région, une province, une troupe, ne peut plus vivre par suite des exactions des mandarins, elle se révolte. L’autorité supérieure sait par expérience ce qu’il est possible d’exiger. Si la moyenne est dépassée, la contribution n’est pas levée, la troupe est payée, le mandarin réprimandé perd quelquefois sa place. Les compétiteurs sont nombreux et toute nomination nouvelle amène un nouveau pot-de-vin. Si la sédition n’a pas d’excuse, la répression est tentée. Lorsqu’elle ne peut pas se faire, le gouvernement révoque le fonctionnaire responsable (il sera replacé ailleurs) et il envoie un commissaire impérial aux révoltés. Ce commissaire déclare qu’après enquête, l’Empereur a reconnu leur bon droit, leurs demandes vont être accordées. Gagner du temps est la base de cette politique. Tout mandarin, quelque soit son rang, serre ses administrés, de manière à satisfaire les exigences de son chef, tout en gardant pour lui le plus possible. Lorsqu’un impôt parvient dans les caisses impériales, les onze douzièmes sont restés dans les mains des intermédiaires hiérarchiques. Un des chefs du parti réformiste, Yan-Waï, parlant des pertes énormes de revenu supportées par la Couronne, citait son district de Nam-hoï comme versant annuellement 6 millions sur lesquels 500 000 francs seulement entraient dans le Trésor. Ce système administratif, ruineux pour l’Etat, fait vivre l’élite des lettrés et les mène à la fortune en même temps qu’aux honneurs. Peuvent-ils volontiers s’employer à le détruire ? Le célèbre vice-roi du Tchili, Li-hung-Chang, avait donné des preuves de ses hautes capacités financières et politiques en amassant une des plus grandes fortunes connues sans avoir provoqué de révolte. Les taxes, les douanes intérieures (Likin) ne sont pas les seuls impôts sur lesquels les fonctionnaires prévariquent. Tous les emplois s’achètent et les cadeaux sont proportionnés à l’importance des situations. S’il n’a pas de fortune, le mandarin doit rembourser, avec bénéfice, le groupe qui a fait l’avance des fonds nécessaires pour sa nomination.

La justice se vend. Sous un prétexte parfois inventé, un