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triomphes : elle se montre véritablement maternelle pour le nombreux personnel théâtral qui est soumis à l’autorité de son mari. Joue-t-elle de nouveau en 1869 dans un concert public au bénéfice d’un artiste malheureux, on lui fait une véritable apothéose. Toute la salle se lève quand elle paraît sur l’estrade : « Je suis entrée et sortie, dit-elle, au milieu d’un tonnerre d’applaudissemens sans savoir si et comment j’avais joué, car mon émotion était indicible… Je n’ai jamais été si populaire. Cela prouve que le courage ne nuit à personne car enfin on m’avait sifflée et reniée, l’année 63. Un homme très considérable de la bourgeoisie a dit ce jour-là que, si j’avais un ennemi, il serait perdu dans l’opinion et chassé de partout sur un signe de moi ! »


III

Mais après avoir fait connaître la grande influence sociale de Mme Kalergis en Europe, nous décrirons sans retard ses relations intellectuelles avec la France, car celles-là nous intéressent naturellement plus que les autres dans cette brillante existence cosmopolite. Et, tout d’abord, disons un mot de son attitude à l’égard de Napoléon III, puisque c’est en organisatrice d’un salon bonapartiste que l’évoquaient pour nous tout à l’heure les souvenirs d’un Parisien de 1830. Mme Jaubert raconte qu’aussitôt présenté à la comtesse, le Prince-président l’invita à l’Elysée et lui donna dans un dîner la place d’honneur à ses côtés : il se montra fort galant ce soir-là et compara, lui aussi, les yeux de sa voisine à des violettes de Parme, en sorte qu’elle résuma le lendemain son opinion sur le chef de la maison Bonaparte en disant d’un ton pensif : « Il sait parler aux femmes. »

Leurs relations furent donc très cordiales à cette époque et la belle étrangère, à cheval, au premier rang de l’état-major, honora de sa présence les revues passées par le futur Empereur. En sorte que le destin de la gracieuse comtesse de Téba, de l’impératrice Eugénie dont elle n’était l’aînée que de trois ans, dut la faire rêver quelques années plus tard ; mais M. Kalergis vivait encore à cette date et la Providence préparait de moins brillans destins à cette existence inquiète. Nous allons voir d’ailleurs que la politique extérieure du Second Empire rapprocha bientôt de l’opposition orléaniste la nièce du chancelier