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loin des champs et des vignes. Et voilà une première influence qui n’est pas négligeable.

Nous sommes aussi dans un pays où les naissances sont tombées à un niveau très bas, puisque aucun groupe ethnique dans le monde ne présente une hyponatalité pareille à celle des départemens gascons. Dans la famille réduite comme nombre, il est impossible de diviser rationnellement le travail, en attribuant les tâches lourdes aux forts, en réservant aux faibles les besognes légères. Ici chacun doit être bon à tout faire, chacun travaille plus qu’il ne peut : les enfans prennent la charrue à douze ans, et les vieillards anhélans la tiennent jusqu’au dernier souffle ; les femmes s’imposent des travaux d’hommes qui nuisent aux grossesses et qui tarissent des seins gonflés de lait. Le surmenage est visible, et, pendant l’été, c’est un surmenage douloureux : il en résulte de l’inquiétude, de l’aigreur et peu à peu le dégoût de la terre.

La vie rurale en Gascogne souffre, encore d’un autre mal qui pèse lourdement sur elle, à savoir l’ébranlement et la dislocation de la famille agricole, plus marqués ici que partout ailleurs. Tous les sentimens qui assurent la cohésion familiale, le respect des parens, l’union entre frères, l’esprit d’association et de solidarité en vue d’un travail en commun, sont en visible décadence. Un père qui a plusieurs enfans ne garde auprès de lui que l’aîné ; à mesure que les autres arrivent à l’âge où ils peuvent travailler, ils lui demandent d’être gagés comme domestiques ou menacent de le quitter. Ils le quittent souvent pour échapper à sa surveillance. Même le fils unique, dès qu’il est marié, a tendance à fonder un foyer distinct. On ne trouve plus une seule métairie où deux frères mariés travaillent avec leurs femmes et leurs enfans sous la direction des vieux parens. Et cependant le groupement familial est la base de l’organisation du travail de la terre : la solidité de ce groupement et la prospérité agricole sont liés ensemble. La ruine de l’esprit de famille est une source grave de découragement pour beaucoup de paysans gascons.

Mais une dernière influence, particulièrement intéressante, détourne les jeunes générations de la terre. Elle a été peu étudiée ; elle mérite de retenir notre attention. C’est l’enfant qui va nous la révéler, le petit écolier qui, de cinq à treize ans, partage son temps entre la métairie et l’école.