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pourrait peut-être, à la dernière heure, s’entendre avec le chancelier. Pour l’instant, il ne cachait pas ses décisions ; elles étaient formelles : « Nous ne pouvons, déclarait-il, concéder aux autorités ecclésiastiques le droit permanent auquel elles prétendent d’exercer une partie des pouvoirs de l’État ; et autant qu’elles possèdent ce droit, nous sommes forcés, dans l’intérêt de la paix, de le restreindre, afin que nous puissions vivre en repos les uns avec les autres. » Ainsi des restrictions aux prérogatives de l’Eglise étaient annoncées comme prochaines, par l’omnipotente parole du prince ; et si d’aventure cette Eglise se plaignait que, pour légiférer ainsi sur son compte, Bismarck n’eût pas appelé un ministre catholique, il objectait que, dans un Etat constitutionnel, le ministre a besoin d’une majorité.

Cette dernière réflexion peut nous paraître toute naturelle ; mais elle fit scandale dans la Prusse d’alors. Bismarck, au temps où il n’était rien, s’était comporté vis-à-vis de la Chambre comme le jeune Louis XIV vis-à-vis de son Parlement : aujourd’hui qu’il était tout, il affirmait, avec déférence, l’obéissance due aux députés, et semblait considérer les organes gouvernementaux comme une émanation des majorités. Ce Bismarck, pour qui, huit et dix ans plus tôt, le principe des majorités n’existait point, se retranchait aujourd’hui derrière ce principe ; Bismarck, chancelier triomphant, s’asservissait à une doctrine politique que Bismarck, ministre encore obscur, avait piétinée et bafouée. C’est au mépris de cette doctrine qu’il avait concerté, jadis, les préparatifs militaires de l’unité ; et puis, s’en emparant ou plutôt s’y pliant, il voulait la mettre à la cime, non seulement de la nouvelle Allemagne, mais de cet Etat prussien que son archaïsme rendait auguste.

On observa, un peu partout, qu’il n’avait pas accoutumé les parlementaires à un tel respect, et la Gazette de la Croix déclara tout net que, dans son discours, il avait directement attaqué ou sacrifié les principes conservateurs. Windthorst déchargea le Centre du reproche d’être confessionnel, et proclama que personnellement il se tenait, à la Chambre, sur le terrain de la Constitution ; il accusa Bismarck de s’identifier avec l’Etat. « On paraît ne plus supporter, s’écria-t-il, que les catholiques se défendent ; on trouve surprenant qu’ils ne soient pas morts. Morts, ils ne le sont pas encore… »

La bataille reprit, le lendemain 30 janvier, à propos du