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blanc-seing pour un certain nombre de mesures de révocation, dont il serait le seul juge. Holtz, député conservateur, était d’accord avec Windthorst et Mallinckrodt pour redouter l’omnipotence de la bureaucratie. « On veut créer une nouvelle armée de gendarmes, » s’écriait Windthorst. Et Lasker lui-même, tout radical qu’il fût, laissait voir une ombre d’anxiété.

Mais tout de suite, se ressaisissant, Lasker proclamait : « Même si cette loi nous livrait à la bureaucratie, je voterais pour elle, car la lutte entre nous et la bureaucratie n’est qu’une difficulté domestique, et cette difficulté doit passer à l’arrière-plan dès qu’il s’agit du combat contre l’ennemi extérieur, contre cette puissance qui tente d’imposer des lois à l’Etat. » L’heure n’était plus de s’attendrir sur la Constitution ou d’élever des digues contre la bureaucratie : un même péril devait resserrer en un faisceau les fidèles de la raison d’Etat. Alors Windthorst demandait sans merci : « Mais cet Etat, sur quel principe repose-t-il ? Est-ce sur le principe monarchique, jusqu’ici respecté ? Est-ce sur un principe inverse, le principe des majorités, dernièrement découvert par le chancelier ? » Et son filet de voix, grêle mais implacable, faisait ainsi une trouée dans la majorité bismarckienne de la veille ; conservateurs attachés au principe monarchique, libéraux attachés au principe des majorités, étaient mis en collision, publiquement, sous les regards de la Prusse, de Bismarck et du Roi ; ce gnome venu du fond du Hanovre mettait le Parlement en désordre ; il questionnait sur ces lois fondamentales dont Retz, un autre malin, disait qu’il était dangereux de les rechercher ; Guillaume 1er lui-même risquait d’être troublé par cette antithèse des deux principes ; et c’était un vaincu, un Prussien malgré lui, qui, défiant Bismarck vainqueur, allait ainsi jeter le trouble dans la conscience des royalistes prussiens, et dans la conscience, peut-être, de l’Empereur.

Justement, en ces jours-là, Bismarck sentait chanceler son crédit sur Guillaume ; cette crainte, et puis son surmenage, lui donnaient mal aux nerfs, d’une atroce façon. La veille, il avait expédié à son ministre Eulenburg une lettre brutale, où il le tançait pour les progrès du polonisme. « Le sol, là-bas, croule sous nos pieds, lui signifiait-il ; voulez-vous, oui ou non, marcher avec nous contre les pratiques polonaises qui depuis dix ans minent avec succès les bases de l’Etat prussien ? Si vous ne m’aidez pas, mes forces n’y suffiront point… Je suis surmené, je