Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis fourbu, ma force nerveuse est usée. » Et sur ces nerfs omnipotens et débiles, sur ces nerfs qui étaient à vif, Windthorst, complice notoire de ces Polonais maudits, s’acharnait à verser lentement, goutte par goutte, l’acide de son éloquence. « Mon pouls, même ici, ne bat que soixante fois par minute, avait dit Windthorst le 30 janvier ; je ne sais si le ministre président peut en dire autant du sien. » En cette après-midi du 8 février, il visait moins à convaincre la Chambre qu’à affoler le pouls du ministre président, et son succès faisait presque peur. Bismarck ne se possédait plus ; à plusieurs reprises, ses mains d’homme fort soulevèrent jusqu’à ses lèvres, en tremblant, le verre d’eau qu’il avait devant lui, et lorsque à son tour il se leva pour parler, on entendit dans la tribune de la presse les directeurs de journaux inviter leurs rédacteurs à reproduire le plus littéralement possible les mots qui allaient être dits.

Ce fut un second réquisitoire contre le Centre ; mais tandis que, huit jours plus tôt, il accusait la fraction d’être confessionnelle, il dénonça, cette fois, les alliances qu’elle acceptait : la presse polonaise, agressive contre les Juifs et contre les « libres-conservateurs » de Silésie ; la noblesse polonaise, agressive contre l’État prussien ; et puis, Windthorst. Les minutes succédaient aux minutes, et c’était toujours sur les Guelfes, toujours sur Windthorst, le minuscule « gérant de la fraction, » que fonçait le colosse. Le genre de l’invective, familier aux orateurs antiques, reparaissait dans la Chambre prussienne, sur les lèvres du premier ministre. Agacé, hors de lui, il se dérobait par l’outrage aux insidieuses questions du tout petit homme. « Si jamais M. le député de Meppen devait avoir la majorité pour lui, s’écriait-il, je penserais alors que la majorité est dans une fausse voie. » Il faisait effort pour détacher de lui la fraction : « Je souhaite sincèrement, avouait-il aux membres du Centre, arriver à faire la paix avec vous, sitôt que vous m’en aurez donné quelque possibilité. » Et derechef, une fois encore, il interpellait Windthorst et l’invitait à faciliter la paix confessionnelle en se séparant lui-même du Centre.

Le 30 janvier, Bismarck avait tonné contre tout un parti : le 9 février, une heure durant, il venait de concentrer tous ses coups contre Windthorst. Dans l’histoire parlementaire, c’était un fait sans précédent : les nationaux libéraux le sentirent, et Forckenbeck, qui présidait, fit prévenir Windthorst qu’il lui