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certes, n’est point négligeable. Les quatre puissances affirmaient et maintenaient le principe de sa souveraineté que les Crétois affectaient de méconnaître, et on comprend pourquoi, surtout dans les circonstances actuelles, la Porte tient à ce que cette souveraineté soit respectée. Le mouvement de la Jeune-Turquie n’a pas eu seulement un caractère libéral, mais encore et surtout un caractère nationaliste, et il serait compromis si, le lendemain du jour où il s’est produit, l’Empire éprouvait un démembrement nouveau. Les exigences de la Jeune-Turquie étaient donc naturelles et légitimes, mais à la condition de ne pas aller plus loin. Lorsque la Porte, par exemple, demande aux puissances le règlement définitif et immédiat de la question crétoise, la seule réponse à lui faire est qu’à chaque jour suffit sa peine. Et lorsqu’elle proteste contre les conseils de modération que le roi de Grèce a donnés aux Crétois, peut-être n’y a-t-il rien du tout à lui répondre. Elle seule peut voir là une intrusion illégitime. — De quoi s’occupe le roi de Grèce ? demande-t-elle. La Crète ne le regarde pas ; il n’y a aucun droit à exercer, aucun rôle à jouer ; son intrusion, quelque discrète qu’elle ait été, est un fait intolérable. — C’est ainsi qu’on raisonne à Constantinople, au moins dans certaines sphères. Un pareil état d’esprit est fâcheux ; il se rattache d’ailleurs directement à celui qui a provoqué dans plusieurs parties de l’Empire ottoman le boycottage des marchandises grecques, dont on dit qu’il va enfin cesser. On conviendra cependant que, si le roi Georges n’a pas plus le droit qu’un autre de donner des conseils aux Crétois, il n’en a pas moins. La Porte se serait-elle plainte si un autre souverain, l’empereur d’Allemagne par exemple, ou l’empereur d’Autriche, avait fait ce qu’a fait le roi de Grèce ? Dira-t-on à Constantinople que le roi de Grèce ne ressemble à aucun autre, parce que c’est à lui que les Crétois jurent fidélité et à son royaume qu’ils s’annexent ? Sa situation est unique en effet : il saurait moins que tout autre se désintéresser de la Crète, puisqu’il se trouve exposé à expier toutes les fautes qu’on y commet. Lorsque les Crétois se livrent à quelque incartade nouvelle, les marchandises helléniques en pâtissent, et on annonce même sous forme de menace que, si les Crétois persistent ou insistent, la guerre sera déclarée à qui ? À eux ? non, mais aux Grecs. La situation étant telle, il est difficile d’imposer au roi de Grèce l’obligation d’un silence absolu. La prétention du gouvernement ottoman a paru, sur ce point, excessive à tout le monde. Summum jus, summa injuria : l’abus du droit est le comble de l’injustice.

Donc, il y a détente. Nous n’allons pas jusqu’à dire que l’horizon