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très distingué et assez sage qui s’appelait Louis Guez et qui devait s’appeler plus tard M. de Balzac. En 1612, il fit voyage en Hollande avec Guez. En 1613, ils étaient brouillés, sans qu’on en puisse bien connaître les motifs ; car ceux qu’en donne Balzac semblent contourner un peu la vérité. Il trouva un protecteur très chaud dans Henri II de Montmorency, du caractère de qui il fait un magnifique éloge. Il recommença à mener sa vie déréglée, fréquentant les libertins qui ne portaient guère encore ce nom, mais qui étaient très nombreux à cette époque, faisant des vers irréligieux et immoraux, etc. Pour des motifs qui sont restés obscurs, peut-être pour sa vie scandaleuse et ses vers, peut-être pour un libelle contre le Roi, il fut, le 14 juin 1619, l’objet d’une lettre de cachet qui lui enjoignait de sortir du royaume. Il se réfugia à Boussières-de-Mazère, près de Port-Sainte-Marie, sur la Garonne, qui était le pays où il avait été élevé ; puisa Montpellier, chez un ami, qui, se sentant menacé, l’écarta ; puis dans les Pyrénées dont la beauté ne le console pas ; car dans ce temps-là on ne trouvait pas les montagnes belles :


Ainsi mes ennemis contre moi furieux
M’ont rendu sans sujet le sort injurieux
Et si loin étendu leur orgueilleux ravage
Qu’à peine sur les monts ai-je vu du rivage.
Mon exil ne saurait où trouver sûreté.
Partout mille accidens choquent ma liberté.
Quelques déserts affreux, où des forêts suantes
Rendent de tant d’humeurs les campagnes puantes.
Ont été le séjour où le plus doucement
J’ai passé quelques jours de mon bannissement.


En 1620, il revint chez son père où il travailla très bien et écrivit quelques-uns de ses meilleurs ouvrages. Inquiété encore, et il est assez difficile de savoir ici pourquoi, il vit la nécessité de transformer son demi-exil en exil complet, pour un temps du moins, et passa en Angleterre. Il souhaita, vainement, d’être présenté à Jacques II.


Si Jacques, le roi du savoir,
N’a pas trouvé bon de me voir,
En voici la cause infaillible :
C’est que, ravi de mon écrit,
Il crut que j’étais tout esprit
Et par conséquent invisible.