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italienne n’ont rien perdu de leur valeur. Si l’on place, maintenant, à côté, sur sa table ou dans sa valise, un opuscule récent de M. Adolfo Venturi, la Basilica di Assise, et les délicieux volumes du poète danois Joergensen, récemment traduits aussi par M. de Wyzewa, Saint François d’Assise, sa vie et son œuvre, Pèlerinages franciscains, on se trouvera bien armé pour aller faire sur place ou refaire dans son fauteuil la visite du sanctuaire unique où s’est épanouie, dans une manifestation collective et rapide, sous l’inspiration locale de l’apôtre inspiré de la nature et de la vie, la première floraison du génie de la Renaissance jaillissant, comme un rejeton naturel, du sol tourmenté, mais chaleureux et fécond, du moyen âge.


I

Nous autres, les vieillards, nous n’étions pas, tant s’en faut, aussi bien préparés à faire l’ascension du Mont Subasio. Je me vois, je me sens encore, le samedi 21 avril 1866, avec Gabriel Monod, tout frais sorti de l’Ecole Normale, rencontré quelques jours auparavant à Florence dans le salon hospitalier de la comtesse Emilia Peruzzi, gravissant les pentes tortueuses au pied desquelles nous avait déposés notre vetturino. Nous n’avions d’autres guides que Du Pays et Baedeker, si brefs et secs tous les deux, d’autres images dans la mémoire que celles de quelques pauvres gravures (la photographie naissante ne s’exerçant point encore dans ces lieux écartés), d’autres idées sur saint François, d’après nos lectures, que celles d’un doux mystique épris de sacrifice, de tristesse, apôtre des vertus obscures et silencieuses, humilité, pauvreté, chasteté.

L’Umbria verde, l’enchanteresse printanière, après l’incertitude d’une matinée brumeuse, venait justement de reprendre, avec le tendre éclat de ses frondaisons et floraisons juvéniles, toutes les grâces consolatrices et rassérénantes de son éternelle séduction. Depuis quelques instans, la grande plaine, assoupie sous les plis bigarrés de sa robe d’herbages piqués d’anémones et de pâquerettes, entre les longues files d’ormeaux, d’oliviers et d’aunes balançant à leurs bras tordus et leurs têtes inclinées les guirlandes de ceps bourgeonnans et de pampres hâtifs, s’éveillait, sous la fuite des brouillards, et découvrait à nos yeux l’ampleur calme de son étendue jusqu’aux lointains