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déroulemens de sa ceinture montagneuse, azurée et légère. Au-dessus de nous, dans la coupole grande ouverte, transparente et frémissante, d’un ciel exquisement clair et limpide* tintait, jusqu’en d’invisibles hauteurs, l’hosanna cristallin des alouettes extasiées. C’était comme un immense et indicible sourire de fraîcheur et de paix, de grâce et d’allégresse, de tendresse et d’amour. Nous étions sous l’effet de ces impressions idylliques, lorsque, tout à coup, se dressa devant nous, dans l’atmosphère subtile, la masse énorme et la silhouette étrange des constructions d’Assise.

C’était bien, en effet, quelque chose de colossal, comme nous l’avait dit Gœthe. D’abord, un soubassement formidable, d’arcades hautaines, à double étage, nues et sèches comme de longues et noires meurtrières, étrangement pressées les unes contre les autres, sur une longue file, entre des piliers robustes, une vraie forteresse de géans. Puis, sur cet imposant piédestal, une autre masse aux profils nets et quadrangulaires, se découlant, avec rudesse, toute en lignes horizontales et verticales, sur le calme azur : la Basilique étendue, comme écrasée, derrière son haut clocher carré, lourd, solennel, démesuré. Notre surprise augmenta encore quand, par-dessus, sur la droite, nous aperçûmes, s’entassant, se pressant, se bousculant, s’échelon-riant, s’enchevêtra rit, à mi-côte, comme s’ils grimpaient l’un sur l’autre et se disputaient l’air et la lumière, une multitude de bâtimens entassés, églises et remparts, tours et coupoles, palais et taudis, puis enfin, par-dessus encore, sur la cime escarpée et rougeâtre, étalant, avec fierté, l’ampleur inoffensive de ses ruines séculaires, la silhouette fantastique, étrangement déchiquetée, d’un castel féodal, rougeoyant au soleil, tel qu’une couronne ébréchée de vieil or, abandonnée, dans la tourmente, par des maîtres enfuis, sur le trône désert de leur royauté abolie.

Cette superposition d’édifices séculaires, bastille des despotes étrangers démantelée par la justice populaire, asiles respectés de prière et de charité, palais nobiliaires et hôtels bourgeois côtoyant les humbles logis de travail et de misère, tous reposant sur la base inébranlable des remparts et contreforts accumulés par la puissance ecclésiastique, n’était-elle pas l’image visible, le témoignage encore intact, irrécusable, de l’évolution historique accomplie par l’idée franciscaine ? C’est là-haut que l’enfant prodigue du riche marchand, adolescent étourdi et généreux, déjà pitoyable aux misérables, épris de