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contradictoire et impossible que nos concepts, fermés et fixes, expriment jamais la réalité tout entière. Incapables d’être jamais définitifs, ils devront constamment être confrontés avec le réel, et refondus, de manière à en imiter, autant qu’il est en eux, l’essentielle puissance d’évolution. Il y a plus : ce résidu, que ne peuvent s’assimiler nos concepts moraux, s’il n’est autre que la vie inhérente à notre nature d’hommes, doit posséder une propriété qui paraît caractéristique de la vie en général, celle de se jouer de nombre d’incompatibilités que se plaît à décréter notre logique. Vivre et mourir, rester soi et changer, être mû et se mouvoir : selon nos concepts, ce sont choses inconciliables ; pour un vivant, c’est tout un. Que vaut, dès lors, le triomphant exercice d’école qui consiste à poser d’abord telle ou telle définition de la morale et de la religion, et à déduire ensuite de ces définitions l’identité ou l’incompatibilité logique de ces deux activités ? Pendant que le dialecticien prononce leur divorce, rien n’empêche que, dans la réalité, elles ne se réunissent et coopèrent. Ce que l’on désigne, dans la vie commune, par le mot de supériorité est-il, en somme, autre chose que la puissance de faire coexister et concourir des qualités qui, selon le train ordinaire des choses, paraissent incompatibles ? Pour caractériser l’excellence de l’homme, comparé aux autres êtres, ne dit-on pas qu’il est un microcosme ?


Si apparens que soient les défauts de la méthode conceptuelle, si banale que soit la condamnation de la dialectique abstraite, c’est, en fait, cette méthode qui, dans les discussions courantes, est la plus employée. Notre entendement a un faible pour la doctrine flatteuse dite ontologisme, qui, de la clarté des idées, conclut à leur vérité. Le sens du réel, toutefois, l’emporte, aujourd’hui, chez des esprits de plus en plus nombreux, et leur persuade de faire un sérieux effort pour mettre le fait au-dessus du concept, et pour saisir la vie directement, dans sa marche réelle et originale. À la méthode conceptuelle ces esprits substituent la méthode historique. Remontant, aussi haut qu’il nous est possible, aux origines de la civilisation comparant entre elles les évolutions respectives des différens peuples, ils s’efforcent de démêler les tendances universelles et fondamentales du génie humain ; et, forts d’observations minutieuses conduites à travers un champ si vaste, ils pensent pouvoir