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distinguer avec certitude ceux des élémens de la vie humaine qui sont appelés à subsister et à se développer, et ceux qui sont condamnés à disparaître.

Cette méthode est fréquemment appliquée à l’étude des rapports de la religion et de la morale.

On démontre, en ce sens, par exemple, que la morale s’est historiquement créée en opposition à la religion ; qu’elle est née d’une protestation de l’homme contre l’arbitraire et l’injustice de ses dieux ; que, si elle a paru, çà et là, s’accorder avec la religion, c’est que celle-ci, forcée par la conscience publique de composer avec sa rivale, s’était modifiée à sa ressemblance ; que, de plus en plus, la morale s’est, à travers les âges, développée d’une façon indépendante ; et qu’elle est, en conséquence, destinée à se suffire et à refouler entièrement les religions.

Considérez, alléguera-t-on, le vieux philosophe grec Xénophane, l’un des premiers qui aient confronté les enseignemens de la morale avec ceux de la religion. « Ce ne sont pas, disait-il, les dieux qui ont créé les hommes, ce sont les hommes qui ont créé les dieux ; car combien ceux-ci ne sont-ils pas inférieurs aux hommes ! Homère et Hésiode nous montrent les dieux se targuant de tout ce qui, chez les hommes, est honteux et criminel. » Socrate, le fondateur de la morale comme science, la fait reposer uniquement sur la connaissance de soi-même. « Quant à savoir si ce qu’on raconte des dieux est véritable, je n’ai pas, déclare-t-il, le temps de sonder ces difficiles problèmes, j’ai assez à faire de chercher ce que je suis. » La foi en l’homme, tel est le titre d’un récent et vigoureux ouvrage de M. Gustave Spiller sur l’indépendance de la morale : Faith in mon, the Religion of the Twentieth Century, 1908. Les religions, d’ailleurs, n’ont cessé de condamner cette prétention de l’homme à l’autonomie. Et c’est précisément en secouant le joug des autorités religieuses que la morale acquiert le remarquable développement que nous lui voyons prendre aujourd’hui.

Tel est, affirme-t-on, l’enseignement de l’histoire. Prétendre maintenir ensemble la morale et la religion, c’est nier le travail séculaire de l’humanité, c’est opposer au courant de la pensée universelle la répugnance sentimentale d’un esprit attardé.

L’évolution historique que l’on invoque, cependant, est-elle incontestable ? Si un certain ordre de faits, convenablement choisis et interprétés, font apparaître une telle évolution, n’en