Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur précurseur Mantegna, et même celui des Romains de l’antiquité qu’il pénétra si avant avec le concours de son frère Philippe, présent dans cette grande salle (portrait de la collection von Hollitscher, de Berlin) et souriant de sa physionomie intelligente et robuste à l’œuvre radieuse de Pierre-Paul.

Cinq ou six pièces rappellent quelques aspects importans de cette phase italienne si studieuse et si courageuse. C’est d’abord le portrait du jeune François de Gonzague ; il se rattache par la largeur un peu froide du modelé aux œuvres des derniers grands portraitistes toscans tels que Bronzino. Nous ne pensons pas qu’il ait appartenu à l’énorme peinture de Rubens : les Gonzague adorant la Trinité, mutilée aujourd’hui en trois parties mais qui forment chacune un tout. La vigueur sommaire de ce portrait, — le jeune Francesco, à cet égard, n’est point différent des princes représentés sur le fragment du musée civique de Mantoue, — rend difficilement acceptable l’hypothèse des critiques allemands qui voient dans un charmant Jeune homme, prêté à l’exposition par M. Henry Hymans, le visage de Rubens jeune par lui-même. Nous n’y reconnaissons ni les particularités physionomiques du maître, ni sa facture de jeunesse. Et ce même portrait de François de Gonzague nous apprend que Pourbus, peignant vers cette époque à la cour de France des œuvres plus raffinées, avait dû agir par sa claire souplesse sur Rubens, plutôt qu’il n’avait subi le génie naissant du futur grand homme.

L’Hercule ivre (musée de Dresde), œuvre peinte à Mantoue, et la Louve allaitant Romulus et Remus (musée du Capitole), datant de l’un des séjours du maître à Rome, sont à l’exposition pour indiquer avec quelle sûreté Rubens marchait vers son idéal personnel en combinant l’enseignement des Vénitiens et son intelligence de la beauté romaine. Dans les tonalités brunâtres des deux œuvres, — concession à l’esthétique caravagesque, — la nymphe aux pieds de chèvre qui entraîne l’Hercule rubescent de Dresde et les enfans tout en clarté devant la Louve capiton line, sont les créations d’un Rubens pleinement original. Le Coq prêté par le musée Suermondt d’Aix-la-Chapelle est plus rubénien encore. Ce n’est point Chantecler, c’est le coq des Flandres élevé pour le combat. En le peignant à Rome pour le médecin qui l’avait guéri d’une cruelle maladie, Rubens devait songer aux rustres, aux fermes et aux aurores du pays natal. Le détail des plumes enflammées, la richesse éclatante de la crête