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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/180

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des environs de 1620 ; exposée plusieurs fois en Angleterre, elle est peu connue de ce côté du détroit ; on comprend l’enthousiasme qu’elle provoquait jadis chez un Bürger. Au centre, un éphèbe, un peu académique, — mais quelle grâce dans l’ondulation du corps et quel charme brillant dans les modelés ! — tient la tête sanglante du roi des Perses. Derrière lui, un groupe de neuf guerriers et de dignitaires scythes à manteaux, cuirasses et coiffures pittoresques, regardent. Qui ne serait frappé du personnage sec et nerveux, à moustaches orientales, vêtu de cramoisi, qui se tient de profil, « les mains derrière le dos, à la manière des enfans et des vieillards quand ils contemplent quelque chose qui les intéresse vivement ? » Une manche de satin orange se pose sur son épaule, un manteau bleu sombre, bleu d’acier, vient ensuite, puis c’est une cuirasse d’un noir ardent, et l’œil absorbe avec délices le régal des tonalités rares. Jamais Rubens ne fut à un tel point le souverain incontesté de la couleur. Et quels types variés et vivans que ces hommes chez qui l’orientalisme mis à la mode par les Vénitiens se double de la plus énergique vérité individuelle ! Le groupe des femmes est merveilleusement peint, — sans cette rare diversité de physionomie. La plus jolie d’entre elles est empruntée à Véronèse. Quant à Thomyris, éblouissante dans ses atours de satin blanc broché d’or, c’est une Flamande bien en chair ; on n’y reconnaîtra pas la buveuse de sang de la légende, et le modèle de Rubens n’avait sans doute jamais bu que de la bière. Pas plus que dans le tableau du Louvre où le maître anversois a traité le même sujet, il n’y a ici à proprement parler de drame, et l’on serait surpris d’entendre cette Thomyris grasse et effrayée clamer les paroles : « Bois à loisir, bois, cruel, d’une liqueur dont tu n’as pu te rassasier pendant ta vie, et, puisque rien n’a pu contenter ta soif que le sang, savoure-le pour le moins après ta mort. » Mais quelle figuration de drame shakspearien ou romantique ! Ne semble-t-il pas que ces figures sont sorties du cerveau d’un Hugo de la peinture ? Et en somme si, — chose exceptionnelle chez Rubens. — l’action n’est point sensible, quel magnifique tableau d’histoire le maître propose à notre admiration !

Ainsi nous avons rencontré à l’exposition le Rubens des peintures religieuses (mentionnons aussi la belle