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bœuf ? Quelles bêtes superbes des polders scaldiques ! Le bœuf est au premier plan ; son mufle semble sortir de la toile, son encolure géante fait dans l’angle du tableau la plus magnifique tache rousse. Que pensent de cette bête unique les animaliers de la Flandre moderne, — Frans Courtens, Stobbaerts et Claus, — pour qui les vaches au soleil sont des fleurs ? Il est un autre morceau de Jordaens, — très modeste de dimensions, — qui retiendra les artistes : ce sont les deux Têtes d’Hommes prêtées par le musée de Gand. Rien de plus solide que cette étude ; et rien de plus libre que ces empâtemens nets, brusques, que cette facture sans apprêt à côté de laquelle la technique d’un Manet paraîtrait timide et pleine de concessions au bon goût.

Nous descendons de quelques degrés avec les autres peintres de figures. Ces satellites eussent été peu de chose sans l’astre qui les entraînait dans son orbite. Enlevez Rubens, — les Gérard Seghers et les Corneille Schut seraient retombés dans la morne emphase des romanisans du XVIe siècle ; leurs immenses toiles de l’église de Saint-Charles Borromée d’Anvers sont là pour le prouver. Grâce au chef de l’école, ils savent ordonner une peinture monumentale et mettre de l’animation dans les attitudes. Le Gantois Nicolas de Liemakere doit sa réputation à l’opinion flatteuse que Rubens avait de lui ; mais le titan anversois était vraiment trop bon prince, ou peut-être n’avait-il jamais vu que cette Sainte Famille, envoyée par le musée de Gand, assez gracieuse et clairement peinte. Gaspar de Crayer fait excellente figure avec une toile harmonieuse et d’allure vraiment grandiose : l’Assomption de sainte Catherine de l’église Sainte-Catherine de Bruxelles. Un disciple pour ainsi dire inconnu de Rubens, appelé Wolfvoet, se révèle avec une toile envoyée par l’église Saint-Jacques d’Anvers : une Visitation peinte en 1639, où l’on voit Elisabeth interroger le ventre de la Vierge du geste dont on frappe aux portes !… De Boyermans, une toile : la Vision de sainte Madeleine de Pazzi (musée de Gand) nous renseigne sur l’admiration de ce peintre pour van Dyck. De Justus d’Egmont, voici Trois petites filles dans un jardin (collection du comte de Waziers), la première année d’un sabre, la seconde parée de roses, la troisième entourée de lévriers, — Diane, Flore et Minerve ? On peut se demander si nous voyons apparaître dans ce petit tableau les déguisemens mythologiques en honneur chez les portraitistes du XVIIIe siècle. — Aucune