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d’interpréter l’histoire de leurs relations. S’il est vrai que ce qui a été n’est jamais qu’une mesure inadéquate de ce qui peut ou doit être, force nous est de recourir à une méthode plus profonde et plus philosophique.


Mais d’abord, n’est-ce pas une illusion de croire qu’en une telle matière on puisse commencer par déterminer, une fois pour toutes, la méthode qu’il convient de suivre ? Cette manière de procéder est très commode dans l’enseignement, auquel elle donne une grande clarté ; et elle n’y est généralement remplacée qu’en apparence par une prétendue méthode de recherche et d’induction. Mais autre chose est, comme l’a si profondément compris Descartes, exposer la science faite ou prétendue telle, autre chose la faire. Nulle part, non pas même dans les sciences mathématiques, la méthode ne se peut, en réalité, détacher de l’objet. Elle est solidaire de la recherche, loin qu’elle la précède ; et elle se détermine au fur et à mesure du progrès de la découverte. Et elle n’est jamais définitivement arrêtée, parce que les principes des choses n’en sont pas l’élément le plus apparent, mais le plus caché et le moins accessible. Les mathématiques ont longtemps passé pour une science toute déductive et abstraite : aujourd’hui, elles s’avouent inductives et généralisatrices, ainsi que les autres sciences ; et elles ne croient plus pouvoir se passer jamais de l’intuition. Le mode de l’observation, de l’induction, de la systématisation varie avec les objets ; et ce fut le mérite singulier d’Auguste Comte, d’avoir bien vu que, si l’idée générale de la science est une, il n’y en a pas moins autant de méthodes scientifiques distinctes que de classes d’êtres pour nous irréductibles.

Ce qui est vrai dans l’ordre matériel l’est, à plus forte raison, dans l’ordre moral ; et l’on s’expose à laisser échapper les caractères essentiels des réalités de cet ordre, lorsque, sous prétexte de les connaître scientifiquement, on les aborde suivant des méthodes adaptées à d’autres objets. Sans doute, connaître, c’est saisir, comprendre, selon une métaphore demeurée classique. Et comprendre, embrasser, c’est enserrer, au moyen des instrumens de préhension dont on dispose. On ne perçoit qu’avec des concepts. Mais, si la connaissance doit être autre chose qu’un sport, où l’esprit ne demande aux réalités qu’une occasion de jouir de lui-même, il faut que l’entendement fasse constamment