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Avec douceur, avec tristesse, elle le prie de ne point la suivre, mais de l’écouter seulement. Du haut de la terrasse, dont-elle a fermé la porte, elle raconte au vieillard son amour, sa faute, et la mort de l’amant, dont l’amante à son tour va mourir. Puis, s’étant plainte ainsi longtemps et longtemps pleurée elle-même, comparable, sur le sommet funeste, à la fille de Jephté, sinon pour l’innocence, au moins pour la jeunesse et le désespoir, elle se précipite et meurt.

« La passion brûlante et dominatrice, qui dans les conflits humains fait sortir brusquement la douleur du plaisir et de l’amour la mort. Rien de plus. » Ainsi M. Pedrell en sa préface définit le sujet, la matière de son œuvre. Et l’on sait que cela fait également la substance, ou l’essence, du Tristan de Richard Wagner. Tout au plus convient-il de noter que cette passion, maîtresse ici comme là-bas, est ici pourtant une maîtresse moins absolue. Elle n’y commande et n’y sévit pas sans trêve. Tout, absolument tout, n’y est pas son domaine, ou sa proie. Elle souffre çà et là quelque rémission, quelque diversion aussi. Des épisodes variés, extérieurs et pittoresques, des scènes ou des traits de comédie supérieure, mais de comédie, viennent tempérer et comme détendre l’unité, par eux moins terrible, du Tristan espagnol. Et puis et surtout, l’auteur encore y insiste, l’esprit ou le génie de cette œuvre, poésie et musique, est un esprit méridional, espagnol et lai in. Les personnages ici n’ont pas besoin de philtre pour aimer. Humains et rien qu’humains, ils ne représentent nul symbole ; ils n’ont d’autre philosophie que cette philosophie, ancienne et cependant toujours neuve, la passion amoureuse et mortelle dont nous rappelions tout à l’heure les mouvemens et les métamorphoses.

La musique aussi de la Celestina approche et s’éloigne à la fois de la musique de Tristan. Le leitmotiv y entre comme élément, il en constitue le fond et la trame. Mais il y parait, il y reparaît beaucoup moins développé que rappelé seulement. Il n’y est pas à proprement parler objet de transformation, d’accroissement et de symphonie. Il revient, ou plutôt, car les thèmes sont nombreux et divers, ils reviennent tous, ils se suivent, sans jamais se rompre ou se morceler, et c’est avec tant de souplesse et de liberté, tant de naturel et de vie, que rien ne semble artifice, monotonie ou redite en l’ordre harmonieux de leur perpétuel retour.

Ici nulle trace de wagnérisme dans les rapports de l’orchestre avec la voix. Bien entendu, l’orchestre du maître espagnol ne se contente, pas d’accompagner, encore moins de suivre : il coopère. Mais il ne préside, il ne prévaut pas. Actif, expressif, tantôt léger et tantôt