Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissant, intense, il enveloppe l’action et les personnages, il les serre, les étreint s’il le faut. La circonférence en quelque sorte est son domaine ; mais en cette forme du drame lyrique latin, le centre de gravité, de beauté, continue d’appartenir à la parole et au chant.

Wagnérienne, çà et là, telle forme, ou tel mouvement : soit, au dernier acte (avant-dernière scène), la progression véhémente que suit, jusqu’au paroxysme, l’admirable duo d’amour. Enfin, pour ne pas dire surtout, l’ensemble de l’œuvre est comme en proie à l’angoisse, à la fièvre d’un chromatisme que d’abord, en songeant à Tristan toujours, on pourrait qualifier de wagnérien. Mais il a, « ce genre » pathétique et douloureux, il a, dans la patrie même du musicien et de son œuvre, dans le génie et dans l’âme séculaire de la race, des attaches plus anciennes et plus profondes. À ce chromatisme général, si vous ajoutez l’altération de certaines notes et de certains intervalles, l’emploi des modes antiques et des thèmes populaires, vous aurez dénombré les élémens d’un caractère éminemment propre à la musique de M. Pedrell. Ce caractère est le nationalisme. Déjà naguère, à propos de los Pirineos, rapportant les idées et les paroles mômes du maître, nous essayâmes de le définir. Nous le retrouvons ici, plus sensible encore jusque dans le détail et plus présent partout, soit dans la matière première, soit dans les diverses façons de la traiter, de la travailler. Aussi bien le nationalisme d’une telle musique n’a rien d’étroit ni de borné. Autant que la chanson populaire et l’instinct des époques primitives, il comprend, il revendique le génie et les chefs-d’œuvre des grands siècles d’art. Et justement, rien de tout cela n’est étranger à l’artiste complet qu’est M. Pedrell. Artiste, mais savant par surcroît, historien des maîtres d’autrefois et maître lui-même après eux, dépositaire et gardien, mais créateur aussi, l’éditeur des Victoria et des Cabezon, le compositeur de los Pirineos et de la Celestina, aura non seulement défendu, sauvé, mais accru le trésor musical de son pays. Presque rien (à peine quelque trace) de Wagner dans la forme de son œuvre personnelle, et rien dans le fond n’est étranger. Purement nationale par le sujet et le texte littéraire, la Celestina l’est par la musique avec une égale pureté. Les sons comme les mots, tout y est espagnol. Et plus d’une Espagne s’y rencontre et s’y reconnaît. L’Espagne du peuple d’abord, celle des chansons primitives, arabe au moins à demi ; une autre ensuite, moins instinctive, plus savante, celle dont les maîtres de la grande époque, de l’époque sacrée, les polyphonistes du XVIe siècle, ont formé le génie et discipliné les chants. Enfin, sur tant de passé, le présent a mis son empreinte, mais pour le