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modéré de l’action et du discours. Entre les « endroits forts, » comme disait le Président de Brosses, rien ne faiblit ni ne languit, alors même que tout, ainsi qu’il convient, s’atténue et se tempère. La vérité, devenant alors moyenne et familière, n’en demeure pas moins lu vérité. Je n’assurerais pas, avec le confrère espagnol cité plus haut, M. Mitjana, que dans la Celestina tout offre la même importance et le même intérêt. Mais plutôt il ne s’y trouve rien qui n’intéresse et qui n’importe. Il existe encore une fois, en tout sujet lyrique, au-dessous des points principaux et les reliant ensemble, des « passages, » comme disent les peintres, où la musique, trop souvent, tantôt se dérobe et tantôt s’embarrasse. Le récitatif italien d’autrefois les franchissait d’un bond ; il arrive à la symphonie wagnérienne de s’y attarder et de s’y alourdir. De cet ensemble, ou de cet ordre secondaire, mais qui s’impose pourtant, M. Pedrell a su ne rien omettre sans insister sur rien. Il y apporte le même instinct, le même sens de l’expression que dans les plus importantes parties de son œuvre. Maître, ailleurs, de l’effusion lyrique, il sait l’être ici du simple dialogue. Aisément, dans un style aussi éloigné de la trivialité que de la recherche, il réalise l’idéal que les fondateurs du drame musical italien définissaient par ces mots : « Un canto che parla, favellare in musica. » Si nous avions le loisir d’analyser dans la partition de M. Pedrell les scènes et les types de comédie, la figure de la Celestina la première, celle de ses « filles » ou de ses commères, celle des deux valets de Caliste, on verrait comment cette musique excelle à dire les choses non pas communes encore une fois, mais prochaines et familières, comme elle sait être la musique de tous les personnages et parler le langage même de leur condition, de leur caractère et de leurs mœurs.

Elle parle, cette musique, mais toujours en chantant. Et que de fois, rien que musique alors, musique pure, elle ne fait que chanter ! Elle chante à l’orchestre, elle chante par les voix. Toute cette œuvre résonne de chants, voire de chansons. Chansons individuelles et mélodiques, ou bien (tableau de la chasse) anciennes et douces cantigas, à plusieurs voix. Chansons des valets, dans la rue, à table avec leurs compagnes de rencontre ; scherzos, qui semblent de symphonie, dans la scène vivante, brillante et pittoresque entre toutes du souper chez la Celestina. « Chante, chante, Lucrecia, » dit et redit ailleurs la maîtresse à sa suivante, et sur les lèvres de Caliste comme sur les lèvres de Mélibée, naissent et meurent, ailleurs encore, les amoureuses, les douloureuses chansons.

Ab exterioribus ad interiora. Pour connaître l’œuvre et la pénétrer,