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suivrons-nous cette méthode et prendrons-nous ce chemin ? L’accessoire même et le dehors, ici tout a sa valeur. Jamais de vide et jamais de remplissage. Avec les scènes capitales, d’autres alternent, volontairement abrégées et légères, intermèdes, mais non hors-d’œuvre, où la musique, sans se relâcher en rien, se détend. Et cela donne à l’ensemble de l’équilibre et de l’harmonie. Ainsi le premier acte mêle, non pas à des chœurs de chasse proprement dits, mais à des indications, à des esquisses chorales, à des appels, à des fanfares, les tons un peu passés de deux anciens madrigaux d’amour. Le troisième tableau du second acte, devant l’église de la Maddalena, est une ébauche encore, mais pleine de couleur, de mouvement et de vie, où le dialogue savoureux des personnages se détache sur des chants liturgiques d’un style aussi ferme, aussi pur, que l’était précédemment celui des refrains amoureux. Quant à l’action enfin (scène du meurtre et scène du supplice), au lieu de la forcer, comme souvent il arrive, et de l’expédier en toute hâte, à grand bruit, la musique la suit, la mène, et jusqu’au bout, jusqu’au paroxysme, c’est musicalement qu’elle la traite et la représente. Ainsi dans la composition de l’ouvrage, en chacun des élémens, lyrique, dramatique, pittoresque, et autres encore, qui le constituent, le style, un grand style apparaît, par où, jusqu’au moindre détail, tout se rehausse et s’ennoblit.

Allons maintenant jusqu’au cœur, au cœur ardent et souffrant, qui fait courir à travers cette musique, des profondeurs aux sommets, la vie chaude et le sang vermeil. Nous le disions en commençant, la joie et la douleur, l’amour et la mort partout se touchent et se fondent ici. De leur contact et de leur fusion, jamais encore une fois, depuis Tristan, l’art lyrique n’avait aussi fortement exprimé le sombre mystère. Celui-ci, dès le début, dès la première rencontre de Mélibée et de Caliste, plane sur l’un et sur l’autre, introduit dans leur dialogue un accent de crainte et comme d’horreur sacrée autant que de tendresse. Il en est ainsi partout et ce rappel, ou plutôt ce présage funeste, donne partout à la passion une sorte de gravité grandiose. Il fait même plus que la grandir : il la purifie. Est-ce l’idée de la mort, présente, ou du moins pressentie, à chaque instant, qui sauve de la fièvre, du délire sensuel, et cela jusqu’en ses transports les plus exaltés, l’amour des amans de Salamanque ? Toujours est-il que la musique, leur musique, même à son comble, demeure noble et pure. Et sa dignité, sa pureté, j’insiste sur le mot, est telle, qu’elle se répand sur l’œuvre tout entière et tout entière, la défend et la sauve. Réaliste par certains côtés, en plus d’un tableau, réaliste