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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/29

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merveilleuse pour déterminer notre volonté. Cette loi est bien connue des Anglo-Saxons, qui placent leurs enfans comme pensionnaires dans telle école, dans tel collège, moins pour l’instruction qu’il y recevra que pour les camarades qu’il y fréquentera. L’atmosphère que nous respirons, le milieu, comme on dit, où nous vivons, à notre insu modèle notre être. La vie est adaptation.

Il serait excessif d’ailleurs de supposer que l’action éducative proprement dite est nécessairement inefficace. Kant signalait très judicieusement la puissance singulière de cette formulé : « Tu dois ! » L’homme se réjouit de la détermination imprimée à sa volonté naturellement irrésolue, et il se sent grandi à ses propres yeux, lorsqu’il se met au service d’une loi qui s’impose également à tous, qui représente un ordre de choses supérieur, attendant de nous sa réalisation. Un uniforme est, pour la plupart des hommes, un sujet de fierté, parce qu’il symbolise une fonction, une raison d’être, un devoir.

Enfin, il n’est pas jusqu’aux exhortations, aux raisonnemens, aux démonstrations en règle, qui ne puissent avoir un effet pratique. L’homme aime à s’imaginer qu’il obéit à des raisons ; que, s’il adopte telle maxime, c’est qu’il en a, par sa réflexion personnelle, reconnu la légitimité. Certes, nos théories dérivent grandement de notre activité pratique, dont, souvent, elles ne sont que la justification inventée après coup ; mais elles nous imposent en elles-mêmes, par leur air d’impersonnalité. Nous sommes plus sûrs de nous, quand nous pensons obéir, non à une impulsion, mais à un raisonnement, même sophistique. Les assassins sont persuadés qu’ils sont les ministres de la justice immanente.

L’enseignement de la morale comporte donc une valeur éducative. Tel un germe, inoculé à un organisme, le modifie. S’ensuit-il, toutefois, que pour produire l’effet, le germe suffise, et que le terrain où il tombe soit indifférent ?

Socrate, qui se proposait de régénérer ses concitoyens par l’enseignement des vérités morales, a énoncé précisément le postulat qu’implique une telle entreprise. « Nul, disait-il, n’est méchant volontairement. La raison du vice se trouve dans l’ignorance : connaître le bien, c’est le vouloir. » Ces propositions expriment-elles des faits d’expérience ? Nul n’oserait le soutenir. L’homme qui résiste à l’évidence des vérités morales