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et tous ceux que l’on ne saurait, sans faire un véritable abus des recherches d’érudition, présenter avec insistance et prôner démesurément, car c’est assez pour eux que d’être mentionnés à la rencontre.


I

Des trois ou quatre auteurs qu’il est utile de mettre à part et d’examiner d’assez près dans leurs rapports de disciple à maître avec Alfred de Vigny, celui qui, le premier, eut l’occasion de pénétrer dans son intimité, fut Auguste Brizeux.

C’est au cours de l’année 1829 que se fit le rapprochement. Brizeux avait vingt-six ans. Etudiant en droit brouillé avec l’école, admis en qualité de familier dans quelques ateliers d’artistes, celui de Devéria, celui des Johannot, lié d’amitié avec Amaury Duval, le meilleur des élèves d’Ingres, il s’efforçait, sans déployer d’ailleurs une bien grande activité, de se faire une place comme écrivain. Il s’avisa de publier, dans le Mercure du XIXe siècle, une étude développée et chaudement élogieuse sur le premier recueil complet des Poèmes d’Alfred de Vigny, qui venaient d’être rassembles. Il y appréciait, avec une faveur juvénile, les grâces un peu molles du poème d’Héléna, mais il y rendait un hommage aussi large que mérité à cet étrange et passionné « mystère » d’Eloa, qu’on relira sans doute aussi longtemps que le livre des Destinées. Avec le coup d’œil prompt, subtil et pénétrant d’un ouvrier tout près de passer maître, il démêlait, dans cette poésie, des mérites de qualité rare, et notamment celui qui les vaut tous, l’originalité. Pour ne citer qu’une de ses formules expressives, il comparait les ouvrages en vers d’Alfred de Vigny à ces morceaux accomplis, créés par le ciseau des sculpteurs grecs : « C’est cette même élégance douce et tranquille, ce mouvement sans turbulence, mais plein de vie, cet accord mélodieux de l’ensemble, cette grâce, cette jeunesse, enfin tout ce qui se révélerait dans une statue de Phidias inondée de la lumière de l’Attique. »

Les poètes s’offensent rarement d’un éloge qui les dépasse. On est donc presque en droit de supposer qu’Alfred de Vigny n’accueillit pas par des reproches trop marqués cette critique et son auteur. Ce qui n’est pas douteux, c’est que, fort peu de temps après, le 9 octobre 1829, pendant qu’on répétait le More