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efforts et l’expérience de ceux dont les ancêtres ont fait la prospérité de la Louisiane, des Antilles et des Indes ; la région des hauts plateaux, où l’altitude corrige l’ardeur du soleil, serait clémente aux paysans des districts pauvres de France, accourus pour y chercher l’espace gratuit et les débouchés fructueux. Mais les résultats pratiques ont encore une fois démenti les conclusions d’une généralisation trop hâtive.

Sans doute, la bande côtière comprise entre les pentes des hauts plateaux et l’océan Indien ou le canal de Mozambique a tous les caractères des pays tropicaux les plus favorisés. Les pluies y sont abondantes, les saisons bien distinctes ; la chaleur y est vive et la végétation puissante ; les torrens drainent de grandes quantités d’eau dans les vallées boisées et forment des fleuves larges et profonds ; la mer est proche, la terre est couverte d’humus, les transports paraissent faciles et la force motrice des cascades est sans limites. Créoles et métropolitains sont conviés à se partager ces immensités vierges. On leur promet de vastes domaines ; on leur montre la fortune toute proche sous la forme de caisses de vanille, de balles de coton, de boucauts de café, de dames-jeannes de parfums rares, de billes de bois précieux. La réalité n’a pas été aussi séduisante.

Les créoles réunionnais sur lesquels on comptait le plus, dont l’expérience professionnelle et l’adaptation naturelle au climat devaient transformer la région côtière, n’ont pas donné les résultats qu’on attendait. Ceux qui conservent dans leur pays natal des vestiges de l’opulence passée ont trop à faire pour éviter une déchéance complète. Ils espèrent toujours, avec la disparition des passions démagogiques où quelques politiciens sans scrupules entraînent les travailleurs nègres et mulâtres, une reprise générale des affaires. Ils sont attachés aux plantations fondées par leurs aïeux ; les souvenirs historiques, les traditions de la famille, les angoisses d’une liquidation ruineuse les retiennent auprès des usines, des cultures, des établissemens qui symbolisent des efforts séculaires. Leur esprit de caste, les intérêts matériels qu’ils représentent encore, maintiennent seuls la Réunion au nombre des terres civilisées, et lui réservent dans l’avenir quelques chances de régénération économique et sociale. Les élémens notables de la population créole ne pouvaient donc abandonner chez eux une partie compromise, mais non perdue, pour tenter la colonisation de la région tropicale de Madagascar.