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Rome, pour l’instant, passait pour avoir insulté l’Empereur ; la Correspondance provinciale, en regardant de près, découvrait même quatre insultes. L’Allemagne allait sévir. Les projets de Falk étaient couchés sur le papier ; il n’y manquait que trois mots, tout au bas : Guillaume empereur roi.

A plusieurs reprises, Guillaume avait fait espérer qu’il les tracerait ; et puis, il avait différé ; son ami de tous les temps, le catholique prince Radziwill, suspendait peut-être son bras… Mais, le prince était mort le 2 janvier, et les excitations de l’entourage militaire étant d’accord, désormais, avec celles de la presse, on apprit, le 8, qu’il avait mis son royal paraphe sous les projets de loi qui devaient déchirer la Prusse. Le portefeuille ministériel auquel on avait songé pour Blanckenburg échut bientôt à un national-libéral ; il ne fut plus question du sourire de regret, du témoignage d’archaïque affection, que Bismarck, un instant, avait rêvé d’adresser aux conservateurs… En quelques journées, la nécessité de faire front contre l’Église avait primé tous les autres soucis.

D’aucuns pensaient que Roon aggraverait encore la politique ecclésiastique de Bismarck. Se donnant à lui-même cette consigne un peu courte, un peu sommaire, de venger son empereur, Roon allait en effet, sans rien savoir des choses d’Eglise, s’élancer dans les voies à l’avance tracées par Falk ; et son allégresse même débordait en calembours ; jouant sur le nom de Falk, il écrivait à Bismarck, le 16 janvier : « La grande chasse au faucon (Falkenjagd) a commencé aujourd’hui. » En tacticien qui avait conscience de mal connaître son terrain, il ajoutait : « De divers côtés, on fera plus d’opposition à ces lois que je ne m’y attendais. » Mais il continuait par ce mot, qui était d’un soldat : « Le fait même de lutter est déjà une façon de se fortifier, lors même qu’on n’arriverait pas à la victoire. » Hans Blum, le publiciste bismarckien, remontait jusqu’à la Réforme et même jusqu’à la querelle des Investitures, pour retrouver à travers l’histoire une aussi somptueuse espérance de « terrasser et d’expulser l’esprit sans patrie du romanisme, et de rétablir ainsi la paix religieuse dans toute l’Allemagne. »

Quant à Bismarck, laissant s’échauffer les esprits et les projets de loi suivre leur destinée, il feignit de s’effacer, quelque temps durant, et put ainsi dire, plus tard, lorsque eurent échoué les lois de Mai, qu’il n’était en aucune façon responsable de