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— Je vous en prie, donnez-la-moi, s’écria Lizzie, l’œil courroucé.

— Mais je n’en ai pas. Il n’y avait pas ombre de lettre pour vous.

— Je suis sûre que si. Il doit y en avoir une ! cria Lizzie en frappant du pied.

— Mais, ma chérie, j’ai regardé et il n’y avait rien !

Jour après jour, pendant les semaines qui suivirent, la même scène recommença avec d’innombrables variantes. Le premier moment d’humiliation passé, Lizzie ne fit aucun effort pour cacher son anxiété à miss Macy, et la tendre Andora fut chargée de surveiller l’arrivée du facteur et d’épier la bonne, coupable peut-être de négligence ou de malveillance. Mais toutes ces précautions demeurèrent sans effet ; il ne vint aucune lettre de Deering.

Durant la première quinzaine, Lizzie, pour excuser son ami, inventa les sophismes les plus ingénieux ; elle admirait plus tard les raisons qu’elle avait pu découvrir du silence de Deering : par momens, elle allait jusqu’à trouver tout naturel qu’il ne lui écrivît pas. Il n’y avait qu’une possibilité que son intelligence n’admît pas : la possibilité que Deering l’eût oubliée, que cet épisode se fût effacé de son esprit comme un souffle s’efface d’un miroir. Elle chassait résolument cette pensée, comprenant que si elle lui donnait accès, sa vie n’aurait plus de pivot, et qu’elle n’aurait plus alors aucune raison de se lever le matin et de se coucher le soir…

Si elle avait eu le loisir de s’abandonner à ses angoisses, elle n’aurait peut-être plus eu la force de les maîtriser. Mais elle devait se raidir et travailler ; il fallait payer la blanchisseuse, puis la note de Mme Clopin, et tous les menus frais avec lesquels, malgré ses habitudes modestes, elle avait à compter. La terreur de la maladie et de ses conséquences l’excitait à travailler pendant qu’elle en avait la force. Elle se rappelait à peine le temps où elle avait vécu libre de ces appréhensions ; elles faisaient à présent partie de sa nature, et la maintenaient debout quand les autres stimulans lui manquaient. Dans la médiocrité monotone de son existence, la mort n’était pas ce qui la tourmentait ; elle redoutait bien plus la maladie, la possibilité d’être à la charge des autres.

Pendant les premières semaines, elle écrivit lettre sur lettre