Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Deering, le suppliant de lui envoyer un mot, un signe de vie, quel qu’il fût. Elle qui, dès le premier jour, avait évité avec tant de soin tout ce qui aurait pu lui donner l’apparence de réclamer un droit sur son ami, — elle s’accusait maintenant d’avoir été trop exigeante, d’avoir essayé d’exercer une sorte de mainmise sur l’avenir de Deering. Sans doute avait-elle froissé, par quelque manque de délicatesse, la sensibilité rétractile du peintre. Elle comprenait maintenant qu’elle aurait dû s’en tenir à son rôle, rester la « petite amie, » l’âme simple où le génie tourmenté aime à trouver un refuge. Au lieu de cela, elle avait dramatisé leurs rapports, exagéré sa propre importance, prétendu même partager avec lui la première place sur la scène, au lieu de se contenter d’être une figurante ou une choriste.

Mais, tout en se disant que son aventure n’était évidemment qu’un incident sans portée, et que pour Deering il ne saurait être autre chose, elle restait convaincue de la sincérité du sentiment éphémère qu’il avait éprouvé. Rien dans sa conduite n’avait dénoté le viveur en quête d’une facile « victoire. » Pendant un temps il avait eu réellement besoin de sa présence, et s’il gardait aujourd’hui le silence, c’est peut-être afin qu’elle ne se méprît pas sur la nature et la durée possible de ce besoin. Il voulait lui épargner la douleur d’un espoir chimérique.

Aux yeux de Lizzie, l’amour n’allait pas sans la plus grande liberté laissée à l’objet aimé. Elle ne pouvait le concevoir exigé comme un dû ou imposé par une contrainte. S’en expliquer clairement avec Deering devint pour elle une nécessité irrésistible, et dans une dernière lettre très brève elle l’affranchit, en termes nets, de toutes les obligations sentimentales que ses lettres précédentes auraient pu lui imposer. Dans ces lignes elle s’accusait, sur un ton légèrement ironique, d’avoir laissé un simple badinage tourner au romanesque ; et elle trouva, pour parler de la fragilité des sentimens tendres, des paroles tellement railleuses et désenchantées que Deering, en lui répondant sur un autre ton, eût paru jouer le rôle d’un fat ou d’un sentimental. Elle terminait gentiment en souhaitant de voir se continuer entre eux le commerce de bonne camaraderie qu’elle affirmait avoir « toujours compris » être la base de leur mutuelle sympathie. Cette lettre lui sembla en parfaite harmonie avec l’idée que Deering devait se faire de la conduite d’une femme du monde ; et elle trouva une joie amère à la pensée de