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d’un arc de triomphe : le prétexte du travail demandé par Sigismond était, en effet, la célébration de la victoire qu’il avait remportée, comme général des Florentins, sur Alphonse d’Aragon, ainsi d’ailleurs que le rappelle une inscription sur l’un des pilastres. Cette façade, la première de la Renaissance italienne, bien qu’inachevée et laissant voir encore le pignon de la vieille église gothique, produit un grand effet, effet qui tient uniquement à son admirable simplicité et aux élégantes proportions de la masse architecturale. Un art nouveau naît avec L.-B. Alberti.

Quelle figure est plus curieuse que celle de cet Italien ! Athlète, savant, astronome, inventeur d’instrumens de physique, littérateur, juriste, bon latiniste au point d’écrire des comédies longtemps attribuées à Plaute, musicien, sculpteur, architecte : c’est une sorte de génie universel, un précurseur de Léonard de Vinci. Il a écrit à peu près sur tout, et l’on pourrait trouver dans ses ouvrages le germe de nombreuses découvertes modernes ; on y lit également des formules saisissantes qui semblent écrites par un de nos contemporains, comme celles-ci que j’ai notées : « Je ne m’adresse pas seulement aux artistes, mais à tous les esprits curieux de s’instruire… Il faut regarder la nature et la vie dans une constante préoccupation du beau… Par l’étude et par l’art, il faut s’efforcer de comprendre et d’exprimer la vie… Il ne suffit pas de rendre la ressemblance des choses, il faut en dégager la beauté… » Quand il définit la mission de l’artiste, il lui recommande de ne pas s’isoler, mais de fréquenter dans la société des orateurs et des poètes pour trouver auprès d’eux de nouvelles sources d’inspiration. Il est le premier qui ait fait une assimilation entre la musique et l’architecture et comparé aussi judicieusement les rythmes, les formes et les sons. C’est probablement la séduction qu’exercèrent sur lui les monumens antiques étudiés avec amour qui le tourna plus spécialement vers l’architecture. D’ailleurs, ce qui l’intéresse, c’est la création, le plan. Il confie à d’autres l’exécution de ses projets : c’est ainsi que, pour le temple de Rimini, il s’adressa au célèbre médailleur Matteo da Pasti ; mais il ne faudrait pas en conclure qu’il n’est qu’un dilettante vagabond ayant louché un peu à tout. C’est un humaniste dans toute la force et la beauté du terme. Il remonte aux sources de la sagesse antique ; il demande à l’art et à la science les moyens de commander à ses passions ; il cherche en eux les consolations aux maux de la vie.