Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/680

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

passent sans hâte, ils ont le temps de vivre, rien ne les presse, bourgeois à la tête blanche qui n’ont pas voulu déserter leur ville, au lendemain de l’annexion, jeunes gens qui continuent ce qu’ont voulu leurs pères, jeunes filles et paysannes au grand nœud ne démentant point le dicton qui célèbre Colmar pour la beauté du sexe, écoliers qui musardent, soldats revêtus de l’uniforme allemand et qui parlent français. Derrière le musée, aux pieds de la statue du poète Pfeffel, en pleine ville, des femmes lavent dans la rivière qui coule là ; on entend le bruit de leurs battoirs, de leurs voix, de leurs rires. Tout est intime, on vit trop près les uns des autres dans ces petites rues et il y a trop de douceur sur ces petites places, pour qu’il entre dans les rapports quotidiens la moindre morgue. « Ce serait un séjour charmant pour un philosophe, écrivait, en l’an IV de la liberté et dans le langage du temps, un républicain qui voyageait en France. La bonhomie de ses habitans et les sites délicieux de ses environs rapprochent de la nature, et tels sont les charmes que le sage recherche. » Ce sont toujours les mêmes mots qui viennent sous la plume.


II

Qu’une ville garde, à notre époque, un caractère si particulier, cela s’explique seulement si, ayant vécu autrefois d’une vie profonde, elle a un long passé et un passé glorieux. C’est bien le cas de Colmar, comme de toutes les villes qui composaient la Décapole : raconter brièvement cette histoire, ce sera montrer aussi quelle robuste individualité caractérisait toutes ces cités alsaciennes.

On ne connaît pas très exactement l’origine de ce nom de Colmar. Les uns prétendent qu’aux premiers temps de la domination romaine, il s’élevait ici un temple voué au dieu Mars d’où le nom de Collis Martis, devenu Colmar. D’autres supposent que le territoire était couvert par une forêt vigoureuse, où l‘on aurait fabriqué et vendu du charbon de bois (Kohle, charbon, en allemand, markt, marché ; par contraction Colmar). La légende enfin voudrait qu’Hercule, cheminant sur la colline, y eût rencontré une nouvelle Omphale, aux pieds de laquelle il aurait déposé sa massue : d’où la massue dans les armes de la ville. Quoi qu’il en soit, Colmar était déjà à l’époque