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un hymne de reconnaissance envers Dieu. La rose épanouie lui montrait l’image de l’amour ardent et chaste, le lys l’image de l’innocence. Elle découvrait un aspect symbolique chargé de poésie aux arbres, aux animaux, aux plantes. Souvent les sœurs entendaient l’admirable harmonie des chants célestes ; de délicieux parfums enivraient leurs âmes ; des lueurs mystérieuses, de brillantes étoiles, des nuages d’or et de pourpre rayonnaient autour d’elles… La Révolution mit fin brutalement à ces visions, à ces extases ; elle ferma le couvent, chassa les religieuses : la dernière mourut en 1855, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Quand le Père Lacordaire vint prêcher à Strasbourg, il alla saluer la sœur Henriette Spiess qui, âgée de vingt-huit ans au moment de la dispersion, vivait retirée chez les siens… Il voulait voir de ses yeux une de ces fleurs mystiques dont le parfum avait embaumé toute l’Europe chrétienne.


Les mêmes murs abritent aujourd’hui la gloire artistique de Colmar et tout ce qui résume son existence. Si l’on veut se représenter les mœurs de l’ancien temps, ses usages, sa figure, on étudiera ces fragmens de sculpture et d’architecture, ces armes, ces meubles, ces graves portraits des premiers présidons du Conseil souverain, ces sceaux gravés, ces ustensiles familiers qu’un soin intelligent a recueillis. Les armoiries de Colmar, ville libre impériale ; l’épée du général Rapp, défenseur de Dantzig ; le dernier drapeau français, et ce sont, sous le verre d’une vitrine, les trois grandes étapes émouvantes de la vie colmarienne, le moyen âge, l’Empire, l’annexion. Si l’on veut embrasser quelle place tient dans l’histoire de la peinture cette petite ville, c’est encore dans l’ancienne église des Dominicains qu’on s’attardera de longues heures. Là, en effet, dans la nef, où sont réduites si heureusement les grandes dimensions des basiliques gothiques, l’école alsacienne de peinture montre ses chefs-d’œuvre, chefs-d’œuvre d’où est sorti l’art allemand.

Si l’on excepte l’admirable et tendre Vierge au buisson de roses qui se trouve à l’église paroissiale dans l’autel de la Vierge, au-dessus du retable, les Unterlinden rassemblent, avec le terrifiant Crucifiement de Mathias Grünewald qui ornait le maitre-autel de l’église des Antonites à Issenheim, les plus authentiques tableaux de Martin Schongauer, celui que les Français appelaient le beau Martin.