Lizzie, toujours absorbée par l’examen des chemises, éclata de rire.
— Mais, voyons, Andora, voyons !… Six, sept, neuf ; non, il n’y en a pas même une douzaine ! Il n’y en a pas une seule en état. Non, je ne comprends pas comment les hommes peuvent vivre seuls !
Andora poursuivait son idée sur un ton rêveur.
— Écoutez, Lizzie, vous n’avez pas la prétention de me faire croire que cela ne vous fait rien de manier ces choses que d’autres femmes ont pu lui donner ?
Lizzie secoua de nouveau la tête, et se redressant avec un sourire, lança un lot de chaussettes dans la direction de son amie.
— Non, vraiment, cela ne me fait rien, absolument rien !… Tenez, soyez gentille, Andora, et comptez-moi ces chaussettes.
— Mais comment ? Vous ne sentez donc rien ? gémit Andora, en attrapant dans ses bras maigres le paquet lancé par Lizzie.
Celle-ci, en continuant tranquillement à déplier et inspecter le linge, sentait au contraire beaucoup de choses, mais ces sentimens étaient trop profonds et trop délicats pour pouvoir être exprimés. Elle ne savait qu’une chose, c’est que chacun des objets qu’elle sortait des malles lui donnait la sensation d’un contact de Deering. De tout ce qui appartenait à son mari semblait émaner quelque chose de lui-même : atomes subtils que seule la chaleur de son amour à elle rendait perceptibles, de même que certains élémens ne se révèlent qu’à une température excessive. Et dans l’espèce, il émanait des effets qu’elle avait dans les mains, témoins des mauvais jours de Deering, quelque chose de poignant par le contraste qu’ils présentaient avec sa situation présente de mari adoré. Maintenant ses séries de chemises étaient rangées et soignées comme de la vieille dentelle. Quant aux chaussettes, Lizzie connaissait le dessin de chaque paire, et « eût voulu voir » que la blanchisseuse se permît d’en égarer une seule, ou d’en faire passer la couleur ! Lizzie voyait dans cette sollicitude minutieuse et quelque peu terre à terre l’humble symbole de sa tendresse.
Deering s’en trouvait comme enveloppé, à l’abri de toutes les vicissitudes, et elle mettait au défi les atteintes du sort d’arriver jusqu’à lui, tellement il paraissait invulnérable sous la protection d’un pareil amour. Mais elle ne pouvait guère formuler ces sentimens, encore moins en faire part à d’autres.