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permanentes ; d’où cette locution, aujourd’hui singulière, « ouvrir la porte d’une rue. » Ces rues, sans alignement et longtemps sans pavage, n’étaient pour la plupart que de tortueux corridors dont beaucoup à Paris n’avaient pas quatre mètres de large. Paris lui-même, quoiqu’il eût changé de peau depuis le milieu du moyen âge, n’avait guère de trottoirs à la fin du XVIIIe siècle ; ce qui rendait toutes les rues périlleuses. « Ceux qui font les lois roulent carrosse, disait Mercier, et dédaignent les plaintes de l’infanterie. »

Le Paris dont Boileau nous a décrit les « embarras, » dans une de ses satires de jeunesse (1662), était, au point de vue de l’éclairage, de l’eau, de la propreté et des égouts, plus semblable à la capitale des premiers Capétiens qu’à celle de notre République. C’était un groupement de villages, sous le rapport de l’édilité comme au point de vue de la justice, que prétendaient y exercer cinquante pouvoirs juxtaposés et concurrens, abbayes et prieurés, chapitres, hôpitaux et collèges, à titre de seigneurs primitifs des hameaux englobés peu à peu dans ses murs.

Il faut évoquer ces villes informes, sales et nues, où Dieu seul était bien logé dans sa cathédrale gothique, pour mesurer avec quelle amplitude les besoins des hommes peuvent varier d’intensité ou de nature ; combien le sens de la Commodité est indépendant par exemple de celui de la Beauté, puisque l’énorme New-York, avec ses cinq millions d’habitans, ne possède pas un seul monument grandiose et que le petit Paris de saint Louis a su bâtir Notre-Dame. Ces citadins du moyen âge ou de la Renaissance, avec les faibles moyens pécuniaires et mécaniques dont ils disposaient, ont mis sur pied des joyaux de pierre, de fer et de bois, par lesquels ils comptent encore et vivent dans la mémoire de l’humanité ; mais ils ne savaient tenir leurs rues ni droites, ni propres, ni sûres et des épidémies meurtrières les désolaient périodiquement, faute d’hygiène. Le Confortable moderne, dont nous sommes si fiers, ne serait-il que chimère, puisque tant de générations n’en ont pas soupçonné l’existence ?

Dans ce cadre urbain du XIVe siècle, les maisons populaires, serrées les unes contre les autres, ne différaient guère des logis ruraux si ce n’est par un détail : elles se présentaient à la rue non de face, mais de profil, par le pignon, sur lequel ouvrait au rez-de-chaussée l’allée d’accès et l’échoppe, au premier une ou deux fenêtres, puis un grenier dont les deux pentes