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XIVe siècle pour les placemens urbains, ce capital global de 1 100 000 francs, — en monnaie de jadis 30 550 livres tournois, — représenterait, pour le prince le plus fastueux du moyen âge, un loyer de 100 000 francs, chiffre qui n’a été ni dépassé, ni atteint dans les temps modernes, sauf par les rois.

Une valeur de 1 100 000 francs n’est pas aujourd’hui bien extraordinaire à Paris. D’après les estimations, plutôt modérées, du fisc, il se trouve dans notre capitale 1 100 immeubles de 1 à 2 millions, 310 de 2 à 5 millions, 60 au-dessus de 5 millions de francs. Mais tous ne sont pas, il s’en faut, destinés à l’habitation. Un tiers d’entre eux sont des usines, des théâtres, des gares de chemin de fer, des bureaux, des magasins, des banques dont une seule a coûté 40 millions. Ces catégories mises à part, et en négligeant 15 arrondissemens sur 20, il reste dans les Ier, VIIe, VIIIe, XVIe et XVIIe, c’est-à-dire dans ceux de la Madeleine, des Champs-Elysées, du faubourg Saint-Germain, de l’Arc de Triomphe et du Parc Monceau, quelque 800 logis de plus d’un million, dont 170 de 2 à 5 millions et 30 de plus de 5 millions.

L’intérêt de l’argent n’étant plus ce qu’il était au temps des Armagnacs et des Bourguignons, un loyer de 100 000 francs correspond à plus de 2 millions en capital et les 200 propriétés bourgeoises de cette valeur sont souvent occupées par plusieurs locataires différens. Il serait donc tout à fait inexact de dire qu’il y a 200 personnes, à Paris, dont l’habitation représente un loyer de 100 000 francs ; mais il y en a probablement une centaine. Or il n’y avait qu’une seule personne dans ce cas, il y a cinq siècles, et c’était un prince tout-puissant.

On ne saurait oublier que la statistique de l’impôt sur les loyers donne forcément des chiffres inférieurs à la réalité, parce que les immeubles habités par leurs propriétaires sont taxés par le fisc, non d’après leur valeur en capital, mais sur la base de leur valeur locative. Et, comme il n’y a pas de « locataire » bourgeois qui consentirait à payer annuellement plusieurs centaines de mille francs pour la jouissance d’un hôtel, quelque somptueux qu’il pût être, il en résulte que telle opulente demeure dont la valeur en capital, jardins et bâtimens compris, est officiellement de 6 700 000 francs, ne figure sur les rôles de la contribution mobilière que pour une valeur locative de 106 000 francs, au lieu des 335 000 francs correspondant au revenu de la somme qu’elle a coûté.