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suivant qu’une ville se peuple ou se vide, suivant qu’au sein d’une même ville tel ou tel quartier gagne ou perd la vogue, les constructions existantes enchérissent ou diminuent sans mesure et sans aucun rapport avec leur dépense initiale.

Nous avons sous les yeux des exemples topiques de ces fluctuations dans le triplement récent de certains loyers des environs de l’Opéra, où tel joaillier paie 360 000 francs par an la jouissance de son magasin ; tandis que le Palais-Royal, siège du commerce de la bijouterie avant 1870, a vu ses arcades, disputées alors à 6 000 francs chacune, tomber graduellement à 1 000 francs sans trouver toujours preneur à ce taux.

Pour les mêmes causes, sous le règne de saint Louis (1254), une maison avec cour, sise sur le Petit-Pont, se louait 6 500 francs, bien qu’elle ne pût être que fort exiguë, comme le montrent les miniatures du temps ; sans doute était-elle précieuse pour le trafic et le change, non loin des tours du Châtelet, au pied desquelles naquit « la Bourse. » Mais à la même époque, rue Montmartre (1260), hors de la porte Saint-Eustache, une maison avec jardin de 3 400 mètres ne se louait que 1440 francs.


II

Le plus gros loyer de Paris au moyen âge fut celui de l’Hôtel de Nesle. Sa valeur vénale, car il changea trois fois de propriétaire au XIVe siècle, montre aussi de quelles hausses était alors susceptible un immeuble parisien. Vendue 294 000 francs en 1321, puis 430 000 en 1330, cette demeure, qui occupait au bord de la Seine l’emplacement actuel de la Monnaie et de l’Institut, fut acquise en 1381 par le Duc de Berry, oncle de Charles VI, moyennant 720 000 francs, somme que vinrent accroître encore les embellissemens du nouveau possesseur. Trop à l’étroit dans le château crénelé qui avait suffi à la fameuse Marguerite de Bourgogne, le Duc de Berry y annexa des tuileries, le « jardin des arbalétriers » et divers terrains adjacens dans le faubourg, hors des fossés de Paris. Sur les uns il édifia de nouvelles galeries, avec jeu de paume, « librairie » et chapelle ; sur les autres il fit faire un jardin, « le séjour de Nesle » relié à son hôtel par un pont-levis.

Ces dépenses, auxquelles il fut pourvu par des dons royaux, montèrent à 390 000 francs ; à 9 pour 100, taux de revenu du