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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/847

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un miracle que, avec leur façon de philosopher, les Allemands en tant qu’individus puissent conserver une pensée quelque peu spontanée : le fait qu’ils manifestent toujours de la fraîcheur prouve la richesse inépuisable des dons du cerveau allemand. » Il cite des proverbes ; il raconte des anecdotes ; il fait allusion aux livres connus et aux pièces de théâtre ; il a la préoccupation constante de rester un homme qui parle à des hommes. Il veut déchirer le « lourd rideau de laine » que l’on jette sur les choses par le vocabulaire ; il se moque de ces termes majestueux dont on enveloppe les réalités, comme s’il était indécent, dit-il, pour une vérité d’aller toute nue. « La pensée, a écrit un philosophe, n’est pas une matière professionnelle ni quelque chose qui appartienne seulement aux soi-disant philosophes ou penseurs officiels. Le meilleur philosophe est l’homme qui pense on ne peut plus simplement. Je voudrais voir des hommes considérer leur pensée, et la philosophie n’est rien de plus qu’une pensée saine et méthodique, comme chose purement intérieure, qui fait partie de leur moi réel ; je voudrais les voir attacher un prix à ce qu’ils pensent et s’y intéresser. » James cite ces paroles avec admiration : c’est sa profession de foi. Arrière ces docteurs qui sont heureux seulement s’ils ont la réputation de pratiquer une science occulte ! Pour lui, il est dépourvu de ce mal des pédans qui est la peur d’être compris trop facilement et qui les pousse à traduire les sentimens et les luttes du cœur en concepts barbares. Il proclame que, loin des formules convenues qui sentent la boutique, il peut librement respirer « ce qui, dans la nature humaine, est comme le grand air. »

L’enseignement du professeur de Harvard a ainsi quelque chose de socratique. C’est la même bonhomie un peu moqueuse qui se retrouve dans les dialogues grecs et dans les leçons adressées aux étudians américains ; c’est le même art de débrouiller les questions, la même manière simple de prendre les choses, le même appel surtout aux facultés habituelles de l’homme qui connaît les réalités par les impressions, par le sens commun. On a dit du sage antique, pour marquer le contraste entre les rêves aventureux des grands métaphysiciens ses prédécesseurs et ses préoccupations plus strictement humaines, qu’il avait fait descendre la philosophie du ciel sur la terre. La formule se peut répéter à propos de William James. Quand plusieurs générations se sont perdues dans les songes et dans les