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Magnifique au sommet de cet humble maintien.
Des milliers de regards se suspendaient au sien ;
Mais parfois, par un prompt glissement, son sourire
Par qui sa bouche a l’air heureuse de séduire,
Faisait que les regards sur sa lèvre étaient tous.
Son ancienne ironie, exempte de courroux,
Toujours fine, mais plus contenue et discrète,
S’y jouait comme aux jours où sa lente conquête,
Attirant les esprits constamment amorcés,
Les menait d’une erreur, consentans ou forcés,
Vers un large sommet balayé d’éloquence.
C’était le même jeu, toujours de connivence
Avec quelque raison que l’on sent s’approcher,
Sans qu’on sache s’il veut l’offrir ou la cacher.
Et le vaste auditoire où frémissait la fièvre,
Gagné par la malice habile de sa lèvre,
Oubliait son angoisse, un instant conforté
Par tant de bonhomie et de simplicité,
Capables de charmer même notre détresse.

Mais parfois il semblait qu’il eût de la tristesse,
Non pour lui, mais pour ceux auxquels il s’adressait,
Les juges devant lui. Le regard qu’il fixait
Sur ces gens dans lesquels il pouvait voir d’avance,
Lui, le liseur d’esprits, se former sa sentence,
Se remplissait de peine et de compassion.
La beauté qui passait dans cette expression
De pitié, de clémence et de pardon sublime
Pour tous ceux qui, tenant entre leurs mains un crime,
Attendaient qu’il se tût, afin de les ouvrir,
Était celle d’un dieu. Mais, pour la ressentir,
Il fallait, comme nous, connaître son visage.
Les autres ne voyaient que son calme courage,
Tant il était discret à rien laisser passer,
Hormis les justes mots qu’il voulait prononcer
Pour accorder aux Lois le respect et l’hommage
De défendre, en leur temple et devant leur image,
Un citoyen sans crime accusé sans raison.
Et je voyais des pleurs dans les yeux de Platon.