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Quand il eut terminé sa sobre apologie,
Il s’assit avec calme. Une rumeur surgie
En long frissonnement sans un seul son de voix,
Comme ces grands soupirs dont s’émeut un grand bois,
De tant de seins émus par cette grandeur d’âme
S’éleva. Mais, ses yeux ayant perdu leur flamme,
Il paraissait distrait, ainsi qu’il l’est souvent,
Quand il se perd au fond de lui-même, suivant
Le fil intérieur de pensers qu’il démêle,
Et son esprit errait, loin de l’heure réelle,
Dans les champs lumineux des immortalités ;
Nous savions qu’il montait des degrés enchantés.

Mais lorsque le greffier annonça la sentence,
Il sortit tout à coup de son étrange absence,
Et reprit simplement son regard attentif.
Les cœurs des matelots, quand le choc du récif
Déchire le navire et le livre au naufrage,
N’ont point de battemens de colère et de rage,
Comme en eurent nos cœurs quand l’arrêt fut donné !
Jamais le lieu sacré ne fut tant profané
Où l’antique Justice a sa demeure auguste !
Il semblait que le Vrai, le Bon, le Bien, le Juste,
Par ce forfait dément tous ensemble outrages,
Tombaient et s’écroulaient à nos yeux affligés,
Et qu’un effondrement immense et redoutable
Se prolongeait autour du sublime coupable
Qui, tel qu’un haut pilier, demeurait seul debout
Dans la chute, le bris, le désastre de tout.
Une vague terreur passa sur l’auditoire,
Comme devant un crime auquel on ne peut croire,
Tant il est monstrueux, et qui pourtant est là.
Un épouvantement de vengeances frôla
Ce peuple tout à coup muet et immobile.
Socrate seul avait son sourire tranquille,
Et ce fut, mes amis, un spectacle très grand
Que ce visage clair, paisible et rassurant
Ceint de fronts sur lesquels s’étendait de la cendre,


Lysis rapporte ensuite la partie de sa défense où Socrate, ayant à proposer la peine dont il pourrait être frappé, a dit qu’il méritait d’être nourri