qui, terrifiés par l’approche du loup, deviennent enragés. On ne nous fait pas comprendre en quoi et pourquoi ils étaient prédisposés à le devenir, et c’est cela qui serait le plus intéressant à savoir. Taine écarte le plus qu’il peut les documens officiels, tout ce qui est écrit pour le public, tout ce qui a un caractère gouvernemental. Il recourt de préférence aux témoignages privés, à ceux qui n’étaient pas destinés à être utilisés pour les besoins d’une propagande quelconque. C’est une gêne souvent, une infériorité parfois, mais aussi une chance de voir juste ; en tout cas, c’est le moyen de voir par ses propres yeux. Les actes authentiques ont un grand avantage. On sait où les trouver, ils ont un air d’autorité. Mais il ne faut pas trop s’y fier. Combien de bulletins de victoire, de communications diplomatiques, de déclarations gouvernementales, ont pour but de donner le change ! Combien d’inscriptions sont menteuses comme des épitaphes ! Ce sont des pièces vraies destinées, le cas échéant, à suggérer une impression fausse. « Pitt et Cobourg » ont du bon. On peut leur faire endosser les responsabilités que nul n’est pressé d’assumer. Et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on l’a fait. La thèse des circonstances, entre les mains d’un historien qui l’admet trop complaisamment, est d’une admirable commodité. Il n’y a pas à la forger, il n’y a qu’à la reproduire. Les documens et les argumens se groupent d’eux-mêmes pour la fortifier. Ils en ont l’habitude. Mais il ne faut pas s’y tromper. C’est une explication aussi incomplète et aussi forcée que l’explication philosophique de Taine. Un historien qu’on n’accusera pas de manquer de méthode et d’indépendance d’esprit, M. Gabriel Monod, l’a parfaitement indiqué. « Expliquer, dit-il, l’évolution de la Révolution française uniquement par la guerre civile et étrangère est tout aussi faux que l’expliquer par les défauts de l’esprit français, car d’autres ont connu des dangers intérieurs et extérieurs analogues, sans que ces dangers aient produit les mêmes effets. » M. Aulard reproche à Taine de recourir trop aveuglément aux Mémoires qui, écrits pour la plupart loin des événemens, souvent sous la Restauration, sont gâtés par la déformation des souvenirs. Croit-il trouver plus de garanties dans les documens contemporains comme des journaux de parti ? C’est cependant ceux qu’il invoque : « J’ai choisi de préférence, dit-il, ceux qui eurent visiblement de l’influence, qui furent les organes d’un parti ou d’un individu important, comme
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