Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Mercure national, organe du parti républicain naissant, ou le Défenseur de la Constitution, organe de Robespierre. » (Histoire politique de la Révolution, Avertissement, p. XI.) Est-ce là qu’on peut espérer trouver un commentaire objectif des événemens ? Est-ce d’après de pareils témoignages qu’on peut se flatter d’opérer un triage judicieux et impartial de ce que Taine appelait les « faits significatifs ? »

On se rappelle le passage de la préface de son livre sur l’Intelligence où Taine expose ses idées sur ce point : « De tout petits faits bien choisis, dit-il, importans, significatifs, amplement circonstanciés et minutieusement notés, voilà aujourd’hui la matière de toute science. Chacun d’eux est un spécimen instructif, une tête de ligne, un exemplaire saillant, un type net auquel se ramène toute une file de cas analogues. » Même si l’on conteste que Taine ait toujours bien choisi les faits qu’il invoque, on ne peut contester la nécessité de choisir. M. Aulard aussi fait son choix : « Les faits qui ont exercé une influence évidente et directe sur l’évolution politique, voilà, dit-il, ceux qu’il faudra choisir pour y concentrer le plus de lumière. » (Avertissement, p. VII.) La règle est la même. La différence entre les deux écoles, c’est que les choix de M. Aulard lui sont dictés par les hommes au pouvoir, tandis que Taine consulte ceux qui ne sont rien ou qui sont dans l’opposition.

On l’accuse, il est vrai, de leur accorder trop facilement confiance. Il suffit qu’un témoignage émane d’un adversaire du parti régnant pour qu’il y croie. « Tout témoignage lui paraît croyable, écrit M. Aulard, s’il est hostile, mais doublement croyable, s’il est à la fois hostile et anglais. » Est-ce exact ? En ce qui concerne le témoignage des étrangers ayant séjourné en France à l’époque de la Révolution, Taine est en effet très porté à le prendre en sérieuse considération, parce qu’un étranger lui paraît offrir des garanties spéciales d’impartialité, et c’est là une manière de voir qui se défend. Quant à la confiance préalable qu’il éprouve d’une manière générale pour toute espèce de témoignage, quand ce témoignage n’est pas celui des hommes au pouvoir, elle n’est pas si absolue qu’on veut bien le dire Certes, Taine, qui était la véracité même, croyait trop spontanément à la véracité d’autrui. En outre, comme il était habitué à calculer ses expressions et qu’il n’écrivait rien au hasard, il avait une tendance excessive à peser et à prendre dans leur