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faut lui procurer les livres de musique qui lui sont nécessaires pour accompagner ses offices ou pour donner ses leçons. Faute de ces livres-là, bien souvent, sa place serait compromise.

L’accordage des pianos traverse lui aussi une crise difficile. Montai n’est pas seulement le premier aveugle qui s’en soit occupé, il est encore un maître de cet art auquel, assure-t-on, il a fait réaliser de notables progrès. Sa tradition s’était conservée à l’Institut national où il avait enseigné, et ainsi les accordeurs aveugles qui sortaient de cette maison étaient fort bien préparés. Souvent les accordeurs ciairvoyans manquaient de méthode, ou tout au moins il n’était pas rare qu’ils en manquassent. Et ainsi, fréquemment, les accordeurs aveugles se trouvaient avoir sur leurs concurrens une supériorité professionnelle qui les aidait à lutter contre le préjugé. Aujourd’hui l’art de l’accord, qui est un art facile, est généralement très bien pratiqué, si bien que nos accordeurs ont beaucoup moins souvent cet avantage. Dans toutes les grandes villes et dans beaucoup de villes moyennes, des marchands de pianos sont aujourd’hui installés. Ils fournissent toute la région, et leurs accordeurs rayonnent de tous les côtés.

Il est pourtant beaucoup d’aveugles qui doivent à l’accord le meilleur de leurs revenus, et M. Marcel Prévost le savait bien quand il intitulait l’une de ses nouvelles : L’accordeur aveugle. Toutefois ceux-là seuls, ou presque seuls, qui peuvent acheter un magasin, se faire marchands de musique et rayonner sur tous les environs, parviennent à se faire une situation égale ou même supérieure à celle des plus heureux musiciens. Mais cela suppose des capitaux, et, avec les capitaux, une intelligence du commerce qui n’est pas donnée à tous. J’ajoute que l’aveugle ne peut guère espérer réussir dans le commerce s’il ne peut compter sur l’aide intelligente d’une personne qui mérite entièrement sa confiance, une femme, une mère, une sœur. Aussi l’assistance d’une société de patronage et de l’Association Valentin Haüy est-elle nécessaire aux accordeurs aussi bien qu’aux musiciens, et s’exerce-t-elle un peu de la même manière : aide pour trouver une place d’accordeur, secours en nature et en argent dans les momens les plus difficiles, effort pour attirer sur le nouveau venu la bienveillance de la région, etc. Les accordeurs aveugles sont tenus par leurs fonctions de voyager beaucoup. Ils font des tournées dans les petites villes, villages et