étapes de sa pensée. C’est ce qu’on se propose de faire ici, en décrivant par quels moyens M. Besnard a tenté de transformer son art, et de le mettre en rapport avec le mouvement ou l’état des idées.
Le peintre de l’Enfance de sainte Geneviève narrait de pieuses légendes dans un style archaïque et pur. Au contact des maîtres toscans, il s’était composé une langue particulière, savante et ingénue, moderne avec un air lointain, spacieuse, sonore, aérée, — une sorte de mélopée et d’idéal récitatif qui se développait mélodieusement sur les fines grisailles d’horizons familiers, qu’il savait rendre élyséens. C’était un esprit simple et grand. Il faisait vivre les idées pures dans des crépuscules angéliques. Il fut le théologien de la peinture moderne.
M. Besnard, comme tout le monde, admirait Puvis de Chavannes. On voit qu’il l’a fort étudié. Mais il voulait faire « autre chose, » et il voulait le faire « autrement » que Puvis. Telle est la condition d’une œuvre originale. C’est d’ailleurs, je l’ai dit, un cerveau beaucoup plus curieux, plus ouvert, plus impressionnable que n’a jamais été celui du solennel poète du Bois sacré des Muses et du Ludus pro patria. Il arrivait ainsi, vers 1883, à l’âge de trente ou de trente-cinq ans, déjà très frotté de choses, ayant beaucoup vécu dans des mondes variés, à Paris, à Rome et à Londres, rêvant Tunisie, Espagne, Maroc, gitanes et ghizanes, danses mauresques et châles éclatans dans les bouges de Triana, et jets d’eau constellés retombant dans leurs vasques entre les cyprès des Alcazars. Grand liseur, grand causeur, versé dans la société, en jouissant vivement, fort au fait des diverses écoles contemporaines, un peu cosmopolite, par conséquent fort libre de préjugés et de partis pris, riche de sensations et d’idées, mais léger de systèmes, il était très exactement ce qu’en ce temps de grâce on appelait un dilettante. Avec cela, on n’est pas trop aisé à définir. Cela s’entend : on se définit surtout par ses étroitesses et ses limites. La matière pensante, chez M. Albert Besnard, devait toujours demeurer étrangement sensible et indéfiniment « plastique : » c’est ce qui lui a permis d’exprimer sur les choses plus de vues différentes qu’il n’est donné aux gens ayant eu de bonne heure un Credo