Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrêté. Praticien consommé, il allait prêter tour à tour à des conceptions fort diverses le charme chatoyant d’une langue très peu affirmative, habile à tout dire et à tout rendre/mais rien mieux que l’incertain, le fugitif, le volatil, — capable de s’éteindre, quoique habituellement brillante, la plus souple et la plus docile qu’on puisse rêver au service d’une imagination très vive et d’une pensée toujours changeante. Et la diversité des instrumens du peintre, aquarelle, pastel, eau-forte, suivant l’ordre de ses impressions et la nature de ses idées, n’est que le signe matériel de sa mobilité intime et de sa miraculeuse agilité d’esprit.

Or, en peinture, à cette date, l’école la plus intéressante, celle qui groupait à coup sûr le plus de jeunes talens, c’était l’école « impressionniste. » On y proclamait, — bruyamment ; — le droit de l’artiste à peindre la vie contemporaine et à être de son temps. Ce n’était pas une nouveauté. Ce qui en était une, c’est qu’on s’y réclamait beaucoup de la science. Non que l’impressionnisme soit, comme on l’a écrit, une peinture « scientifique : » il est clair que M. Monet ne doit rien à Chevreul. Mais il flottait dans l’air, en dehors même des Instituts et des laboratoires, une espèce de foi générale aux vérités de la science, et une grande confiance dans le progrès par la raison. Cette atmosphère baignait, en quelque sorte, toutes les idées. On la respirait dans les livres, les romans, les journaux. Les anciens systèmes des choses, l’univers des théologiens et celui des poètes, tombaient au rang de fables et d’inavouables anachronismes. La science, au contraire, ouvrait des perspectives infinies. Elle avait devant elle un avenir illimité. Elle ne créait pas seulement le vrai, mais encore l’harmonie, la morale, le beau. On avait craint que la vérité ne dépoétisât le monde : vaine crainte ! c’est l’erreur, la fiction qui se trouvaient mesquines, chétives, puériles. « Nous avons beau, s’écriait Renan dans une page fameuse, nous avons beau enfler nos conceptions, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses… Le temple de notre Dieu n’est-il pas agrandi, depuis que la science nous a découvert l’infinité des mondes ? » La science devenait la plus sublime des poésies. Elle était en train de changer toutes les formes de la pensée : pourquoi ne changerait-elle pas aussi le vieux formulaire de l’art ? Les peintres, cependant, faute d’éducation ou d’idées, hésitaient ; les plus