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J’ignore quelle place, dans la hiérarchie des sciences, occupe la pharmacopée. Depuis Flaubert, cet art excellent fait sourire. Mais c’est l’éloge de la pharmacie qu’avait à faire M. Besnard. Et de ce sujet, qui rappelle les pensums poétiques de l’école de Delille, l’Art de fumer ou le Jeu du whist, c’est merveille de voir avec quelle ingénieuse aisance et quelle riche fantaisie l’artiste a fait jaillir deux cycles entiers de fresques, — neuf grandes scènes et huit petites, qui forment l’ensemble le plus original de la peinture contemporaine.

A vrai dire, les grandes scènes traitent seules de la pharmacie ; mais ce sont les petites qui ont fait la célébrité des autres. Les premières comptent du reste au nombre des meilleures créations de l’auteur ; il a rarement trouvé un motif comme celui de la svelte cueilleuse suspendue entre ciel et terre à une branche en fleurs, dans la Récolte des simples ; jamais son art ne s’est montré plus ému et plus délicat que dans le « diptyque, » la Maladie et la Convalescence. Mais, on le voit, ce genre de sujets n’a rien de « scientifique, » rien qui le distingue expressément de toute autre peinture de la vie ordinaire. L’immense répertoire de l’art hagiographique est, aux costumes près, plein de données toutes semblables. La Maladie n’est qu’un « miracle » où le médecin tient le rôle du thaumaturge. Quant aux deux scènes du « cours » dans le grand amphithéâtre, elles rentrent dans le genre connu des « tableaux de professeurs, » dont le type célèbre est la Leçon d’anatomie.

Aussi bien, ce qui a rendu cette série fameuse, ce sont les huit tableaux qui, encadrés aux deux côtés d’une courte galerie, racontent en abrégé l’histoire de la vie à la surface du globe. On se demandera si c’était bien le cas à propos de juleps, de tisanes et de sirops, de se mettre en frais d’exposer la doctrine de l’Evolution, et si une telle préface était nécessaire au Codex. Mais l’auteur répondrait qu’il a pris l’occasion qui lui était offerte, et le fait a prouvé qu’il a eu bien raison.

Ce sont des ébauches fougueuses et faites avec emportement, qui imitent en quelque sorte la fièvre de la nature, lorsqu’elle improvisait parmi les miasmes primitifs la faune monstrueuse, les premiers essais de la vie. On assiste de page en page au débrouillement de l’Etre. Voici rouler d’abord sur les houles aveugles l’escadre bizarre des ichtyosaures, gréés de cols fantastiques sur des corps à forme d’outrés, bêtes chaotiques et