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fourniraient que des sujets pour le bonhomme Chardin ; il s’est refusé à la suivre dans ses milliers d’applications, de la fabrication des suifs à celle de la dynamite et des celliers aux ambulances, partout où elle cultive des levures ou stérilise des fermens. Il s’en tient cette fois aux plus hautes spéculations sur l’unité de la matière, à la philosophie des sciences. « Comme on dit beauté poétique, écrit Pascal, il faudrait dire : beauté géométrique, beauté médicinale, etc. » M. Besnard ajoute : beauté chimique.

J’ai peur qu’on n’entende pas sans peine en quoi cette beauté consiste. Le mythe dont l’auteur se sert paraît des plus confus. C’est un rêve sur l’identité des élémens universels et les révolutions éternelles de la matière. Cela s’intitule : La Vie renaissant de la mort. Dévoré du soleil, un cadavre géant, un cadavre de femme, gît sur un tertre, parmi les herbes. On a évoqué à ce propos le souvenir de Baudelaire et de sa Charogne : M. Besnard a trop de goût pour avoir étalé aux yeux cette pourriture. Son « cadavre, » d’un vert laitue, est évidemment un symbole. Cependant il s’en échappe un flot de lait, qui se change en un « fleuve de vie, » lequel, comme l’antique Océan, ayant embrassé le monde dans son tour, se précipite enfin, charriant des débris d’organismes dans un gouffre de feu, vaste creuset de la Nature où tout tombe, où tout se refond, et d’où tout sort. Un serpent qui, comme chacun sait, en se mordant la queue, forme un cercle parfait et a le privilège d’être alors un hiéroglyphe, signifie le retour éternel, le mystère des palingénésies. Sentez-vous quel rapport ces choses ont avec la chimie, avec l’analyse de l’eau et le poids de l’azote ? Les maîtres d’autrefois qui peignaient les Arts Libéraux n’étaient pas de grands clercs ; mais ils ne se mêlaient pas de créer des symboles. Ils se bornaient à reproduire des modèles invariables. Il est vrai qu’il n’existe aucun de ces types pour la chimie. Aussi le peintre qui cherche à la représenter s’expose-t-il à des mécomptes.

En sorte que cette union tant prônée de l’art et de la science, la science n’y gagne pas grand’chose, et l’art a beaucoup à y perdre. Le peintre, en pareille matière, opère sur des notions erronées et sur des à peu près. Il recourt aux grands mots, il accumule les contrastes. Dans ce fracas à grand orchestre, la palette se fausse, la langue perd sa délicatesse. Aucun peintre, d’ailleurs, à la place de M. Besnard, ne s’en fût mieux acquitté due lui. Il reste toujours le premier praticien et le plus puissant