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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/115

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caravane humaine, la jeune Vérité bondit avec des étincelles, belle d’une beauté de météore, embrassant une gerbe d’éclairs.

On jugera sans doute un peu compromettantes pour une figure de la Vérité ces allures fallacieuses de chimère et de feu follet. On trouvera peut-être dans les Philosophes de Rembrandt une idée plus auguste de la méditation, plus d’infini et de mystère. Les professionnels nous diront que jamais observateur dans le champ des étoiles n’a aperçu aucun spectacle comparable à la rêverie astronomique de M. Besnard ; on ne sera pas surpris qu’ils refusent toute valeur à sa carte du ciel. Nul doute cependant que cette fiction brillante n’ait un véritable caractère scientifique. Ce n’est plus là le vieux firmament d’autrefois, posé sur l’horizon comme une tente illustrée de lampes qu’entretiennent des génies, ou comme un toit de cèdre scintillant de clous d’or. Ce n’est plus l’univers étroit, fermé des anciens : c’est le nôtre, tel que la science nous l’a fait, sans borne, illimité, farouche, ces tourbillons de mondes s’entraînant l’un l’autre au-delà d’espaces effrayans, à décourager le calcul. Et l’on souhaiterait ici plus de religieuse horreur et d’angoisse métaphysique ; on ne s’y trouve pas moins en présence d’un « merveilleux » nouveau ; on ne contemplera pas cette œuvre singulière sans en recevoir une commotion et un ébranlement au cerveau, — l’espèce de vertige où nous jette la pensée de cet inconnu bleuâtre où brûle Aldébaran et se meut Bételgeuse.

Ce que l’allégorie des Sciences emprunte de frappant à l’étrangeté du décor, M. Besnard a voulu, à l’amphithéâtre de Chimie, l’obtenir de la seule grandeur de la pensée. De toutes les sciences, la chimie est bien celle, en effet, qui non seulement s’est le plus développée au dernier siècle, mais qui a le plus modifié la vie autour de nous. Pasteur et Berthelot ont été sous nos yeux des figures populaires comme les saints d’autrefois : eux aussi faisaient des miracles. Le moyen âge les eût sculptés au porche des églises, entre saint Martinet saint Denis ; et le P. Cahier eût consacré, dans sa Caractéristique des saints, un article au grand exorciste qui chassait les démons des foudres où ils aigrissent la bière, gardait de la rage les chiens et guérissait avec tendresse le ver à soie languissant sur sa feuille malade. M. Besnard a écarté ce tour anecdotique. Il a pensé que c’était une pauvre chose à peindre que la chimie à l’œuvre dans son laboratoire, et que des cornues et des fourneaux ne