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de laideurs. On comprend le Pied bot de Ribera ou les « monstres » de Velazquez. On voit à Sienne, à l’hôpital della Scala, des fresques de Domenico di Bartolo qui représentent toutes les infirmités humaines : c’est pourtant quelque chose de parfaitement beau. Mais cette association du Christ et de Charcot, de l’Evangile et de l’Assommoir, formé vraiment une combinaison d’un dilettantisme excessif. On souhaiterait plus de pitié.

Et dans cette rare image d’un Christ immanent, idéal ou extra-historique, comme dans ces études de sociologie et de pathologie cliniques, on reconnaît toujours le point de vue de la science. Mais cette fois, M. Besnard se tient quitte envers elle. Il y a en lui une force optimiste et une sensualité heureuse qui avaient besoin d’une revanche. Il avait passé quelques hivers en Algérie, et y avait appris que l’art n’a rien de commun avec la civilisation industrielle et le progrès : si le prix de la vie réside dans la beauté, c’est nous, et non l’Arabe, qui sommes les barbares. Sans doute, il y a plus d’une beauté ; il y en a une, notamment, des choses humbles et laides ; il existe une grâce de la misère et de la souffrance ; c’est celle des Gueux de Rembrandt et de la Pièce aux cent florins. Mais ce n’est pas à elle que va instinctivement M. Besnard. Il est facile de voir qu’il est faiblement chrétien. Un tempérament comme le sien a ses exigences et ses lois, et c’est une question de savoir si la peinture décorative souffre certaines choses, que d’autres genres ont les moyens de transformer en poésie. A Berck, il avait pris sur lui de se contraindre, — à moins qu’il n’ait cherché à se délivrer d’une obsession et, suivant l’hygiène recommandée par Aristote, à se « purger » par l’art de l’angoisse de la souffrance. Peut-être ces étranges peintures sont-elles, dans sa vie, une véritable « cure. » De toutes ses forces il répugne à la douleur et à la mort. S’il conçoit la tristesse, c’est la mélancolie voluptueuse d’un Lucrèce. A Talloires, où il va l’été, près d’Annecy, stagnante et modeste Venise où rêva le jeune Jean-Jacques, au bord du lac où Taine eut lui aussi son ermitage, devant ce paysage d’eaux calmes et de monts lamartiniens, d’un luxe surprenant de bois, d’ombrages, de reflets, de nuances, parmi ces formes immuables vêtues d’une lumière capricieuse, et où l’on respire mieux qu’ailleurs, dans du mobile et de l’éternel, le charme et la douceur de vivre, l’artiste oublia les systèmes et n’écouta que