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tort, ce semble, d’en presser trop sévèrement le sens. C’est le charme des images qu’elles se sentent et ne s’expliquent pas. Elles sont belles si elles font rêver. A prendre celles-ci comme terme d’une longue suite de recherches, on ne peut guère méconnaître la supériorité de la formule finale. Le tableau de la Matière est une version nouvelle du sujet de l’amphithéâtre de Chimie, mais combien plus concise, plus nette et plus frappante ! Et l’on ne saurait dire ce que le résultat a gagné en clarté par le fait que l’auteur, au lieu de recourir à des symboles de circonstance, s’est contenté du type séculaire de Pan. C’est justice, après cela, de connaître de quel tourbillon de vie il a su animer ce morceau extraordinaire : y eût-il réussi, avec un type moins vivant ? De même, la Pensée n’est qu’une reprise nouvelle du plafond des Sciences, une variation sur le thème de la vérité inaccessible, moins pittoresque, si l’on veut, à coup sûr moins bizarre, mais combien, en revanche, plus noble et plus profonde ! Il a suffi, pour cela, d’une grande page neutre et presque monochrome, où le couple humain rencontre dans son ascension la figure funèbre de la Mort, tandis que derrière, là-bas, sur un autre monde apparu parmi des brumes indiscernables, flotte le fantôme voilé de l’Enigme éternelle. Rien de moins neuf comme donnée, et rarement l’auteur s’est élevé si haut.

Les amis de M. Besnard se plaignent de ne plus retrouver dans ses dernières œuvres l’élégante séduction de sa première manière. Ils ne marchandent pas leur admiration à des morceaux étourdissans, comme le Pégase du tableau de la Beauté antique ou le saint Georges qui lui répond dans l’Idéal chrétien. Ils regrettent certaines finesses de tonalité, certaines harmonies d’argent qui faisaient la grâce la plus sûre des fresques de l’Ecole de Pharmacie. La palette, plus opulente, semble perdre en distinction. L’art de M. Besnard paraissait plus exquis, d’une aristocratie plus rare alors qu’il s’appliquait à des sujets vulgaires. Mais on pourrait répondre aux juges trop difficiles que l’art même de peindre ne consiste pas tout entier dans des sensations délicates et des teintes recherchées. Des maîtres considérables ont même été d’avis que de pareils soucis lui sont plutôt contraires. C’est un vieux débat, dans lequel on nous dispensera d’entrer. Mais quand il serait vrai que la récente manière de M. Besnard fût entachée de quelques lourdeurs, elle n’en resterait pas moins un bel exemple. Ce n’est