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concessions préjudiciables aux droits de l’Église, et que l’État n’avait à en espérer aucunes. L’accent pourtant n’avait rien de belliqueux : cette lettre visait à plus et à mieux qu’à être l’épisode d’une bataille ou l’esquisse d’une parade. « Nous continuerons, proclamaient les évêques, de remplir nos devoirs envers l’autorité laïque, envers la société civile, envers la patrie ; car nous n’oublions jamais qu’en ce qui regarde les rapports entre les deux pouvoirs, Dieu ne veut pas la lutte, ni la séparation, mais qu’il veut la paix et la concorde. » Ils terminaient en recommandant à leurs fidèles de se bien conduire et de prier. Ainsi n’acceptaient-ils la lutte qu’en définissant une fois encore un idéal de paix ; et la prière humble et pacifiante était la seule tactique dont ils aimassent à tracer le programme.

Trois semaines plus tard, lorsque les projets furent devenus des lois, un nouveau message épiscopal émut l’opinion ; il était cette fois adressé au ministère et mettait en lumière le point fondamental du litige. Vivait-on sous l’ère païenne, ou sous l’ère chrétienne ? Allait-on rétrograder au-delà de Constantin, sous lequel les autonomies respectives de l’État et de l’Église étaient entrées en vigueur, et remonter à l’époque où l’État s’affichait comme la source de tout droit ? Admettre en matière spirituelle l’absolutisme de l’État, c’était répudier l’origine divine du christianisme. Donc les évêques refusaient formellement leur concours pour l’application des lois.

Une caricature, dont s’amusa l’Allemagne, symbolisa cette réponse : on y voyait une vieille femme accroupie, armée de lunettes, et qui venait d’accoucher ; elle représentait la Chambre des Seigneurs, et Bismarck et Falk recueillaient avec sollicitude les lois de Mai qui venaient de naître. Les trois cheveux que les caricaturistes prêtaient à Bismarck étincelaient comme trois rayons ; avec le geste auguste d’un Moïse descendant du Sinaï, il montrait aux évêques ces nouvelles Tables de la loi : « Elles ne me regardent pas, » répliquait un des évêques, mitre en tête. Falk se flatta dans la suite d’avoir à ce moment agi sur les évêques, avec douceur et cordialité, pour qu’ils coopérassent à l’application des lois ; mais la douceur de Falk échoua, comme bientôt sa dureté. Ils estimaient que les lois faites sans eux et sans le Pape ne les regardaient point.