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II

Souvent à travers l’histoire, les ordres religieux aidèrent la hiérarchie à défendre son indépendance contre les tentatives des rois. Mais les évêques de Prusse, dans la lutte qui s’engageait, ne pouvaient plus escompter ce concours. Car en ce mois de mai 1873 où le législateur prussien enlevait à l’épiscopat le libre gouvernement de l’Eglise, des ruines nouvelles s’accumulaient dans le clergé régulier : le Conseil fédéral déclarait, le 13 mai, que les Rédemptoristes, que les Lazaristes, que les Pères du Saint-Esprit, que les Dames du Sacré-Cœur étaient affiliés aux Jésuites, et devaient être traités comme eux. La destinée de sept ordres enseignans, que la Prusse voulait frapper du même coup, était soumise à plus ample examen, mais de toute évidence leur dispersion n’était qu’une affaire de temps.

Le préfet Froté, de Porrentruy, qui était à ce moment même l’un des chefs les plus actifs du Kulturkampf suisse, exprimait son allégresse au gouvernement de Berne : « Bismarck, écrivait-il, est le premier homme d’Etat du monde, et il vient de trouver le vrai remède aux maux qui menacent la société civile. Il chasse de l’Allemagne sur la France la vermine qui a déjà anéanti cette dernière nation, et elle est certes plus redoutable encore que les uhlans. Les canons de l’Eglise romaine sont plus redoutables que les canons Krupp. »

Ainsi se réjouissait-on, partout où l’on haïssait l’Eglise, de voir disparaître du sol prussien, dans un bref délai, les troupes auxiliaires dont elle aimait à s’entourer : une police soupçonneuse les mettait en déroute. Autour des évêques et des curés réputés ennemis d’une légalité dont ils étaient les victimes, l’Etat s’acharnait à faire le vide et croyait, qu’en les isolant, il finirait par les dompter. Mais l’Etat se trompait, les évêques n’étaient pas seuls.

Derrière cet épiscopat dont les nationaux-libéraux avaient à tort escompté le silence, derrière ce parti du Centre que Bismarck inclinait à considérer comme un phénomène anormal et factice, le peuple catholique allait parler lui-même, agir lui-même, souffrir lui-même, force vivante, pleinement consciente de son droit à l’existence et de son droit au respect. Plusieurs années durant, cette force allait affronter les lois qui désorganisaient l’Eglise, se mesurer avec elles, et ne cesser de lutter