Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

organisation politique. Le Centre incarnait pour eux certaines visées de justice sociale, en même temps qu’un superbe parti pris de défense religieuse ; le Centre devenait l’abri derrière lequel, confians, ils se retranchaient pour la protection de leur vie morale, pour l’amélioration de leur vie matérielle. Et comme les revendications sociales que savait faire gronder, au fond de leurs consciences croyantes et pratiquantes, l’éloquence évangélique d’un Ketteler, n’étaient que l’épanouissement de leurs propres conceptions chrétiennes ; comme ils s’associaient, pétitionnaient, se défendaient et manifestaient, en vertu des mêmes principes qui les faisaient prier, s’agenouiller et communier ; comme la foi au nom de laquelle ils demandaient à être respectés par le riche était celle-là même au nom de laquelle ils aimaient obéir au prêtre, on devine quelle force c’était, pour les évêques et le Centre, de s’appuyer ainsi sur des natures profondément unifiées par le christianisme, et d’épanouir intégralement dans la vie publique tout ce que ces natures recelaient.

Les seuls partis qui ont la vie dure sont ceux qui expriment quelque chose de réel. Il advint parfois que de rares publicistes invitèrent à la création d’un Centre protestant, et toujours leur avis tomba dans le vide ; quelques groupemens, un manifeste, et même beaucoup de bruit ne suffisent pas à faire un parti, et qu’importe, en définitive, à des masses devenues indifférentes un programme de libertés confessionnelles ? En réalité, le peuple catholique préexistait au Centre, avec des croyances, avec des aspirations issues de ces croyances, auxquelles ce Centre n’avait qu’à offrir un écho pour acquérir une raison d’être et une puissance. C’est ce que comprenait, à demi le publiciste conservateur Wagener lorsqu’en janvier 1872, il écrivait à Bismarck : « Le parti ultramontain est d’autant plus dangereux que les organes de l’Eglise réussissent à attirer les masses. Sur aucun domaine le fanatisme religieux ne se développe plus efficacement qu’en présence des aspirations sociales. Même les socialistes reconnaissent que sur le Rhin et en Westphalie l’Eglise leur dérobe le terrain. » Wagener allait jusqu’à conclure qu’il fallait prendre garde de pousser les « sociaux » dans le camp clérical, et qu’un empereur social aurait vite fait de devenir plus fort que le pape social. Mais l’Église et le Centre avaient une grande avance sur le roi de Prusse et sur Bismarck.