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lettres éclairait la situation politique. Le ministre Eulenburg écrivit au président supérieur de la province du Rhin pour qu’un placard qui les reproduisait et les confrontait fût distribué à profusion dans le corps électoral. Guillaume apparaissait comme l’antagoniste du Pape ; on commentait le duel, on applaudissait aux coups de l’Empereur ; libéraux et vieux-catholiques lui adressaient des messages de remerciement. La Gazette Nationale racontait que les Berlinois en s’abordant ne se disaient plus : Comment cela va-t-il ? mais : Que dites-vous du Pape ? On se servait des affiches, aussi, pour faire connaître l’ardente querelle qui mettait aux prises les deux moitiés de Dieu ; de vastes placards s’étalaient sur lesquels la couronne et la tiare semblaient s’affronter.

Cette descente de Guillaume dans la bagarre électorale émut les conservateurs, et commença de les ébranler : un appel que publiait la Gazette de la Croix déclara qu’aucun protestant, aucun patriote ne pouvait décidément marcher avec l’ultramontanisme. Lorsque d’en haut, de très haut, l’Empereur semblait sonner le ralliement autour de sa personne, lorsqu’il le sonnait contre un pape soupçonné de vouloir régner sur les fidèles mêmes de l’Eglise évangélique, les conservateurs, sous la double impulsion du loyalisme féodal et d’un protestantisme chatouilleux, oubliaient un instant le fossé profond qui s’était ouvert entre eux et l’Etat bismarckien, et répondaient à l’appel du monarque. Mais il y avait d’autres cercles où la mise en scène concertée par Bismarck ne faisait aucune dupe. C’étaient les cercles dans lesquels s’élaborait l’opinion catholique, et dans lesquels elle se préparait à se transformer en votes. En vain les documens dont Bismarck essayait un usage provocateur attestaient-ils une opposition formelle entre Guillaume et le Centre, les catholiques demeuraient fidèles au Centre, comme à l’émanation de leurs consciences, comme à l’organe de leurs fiertés.

Ils avaient vu le Centre s’opposer aux lois de Mai ; ils voyaient les prêtres y résister : ils voteraient pour le Centre en songeant aux prêtres.

Dans cette Prusse disciplinée, où la loi fait baisser les (êtes et mouvoir les bras, des populations entières comprirent que leurs évêques et leurs curés, retranchés derrière un devoir supérieur, courussent avec sérénité le risque de passer pour rebelles. Le 8 octobre, la Correspondance Provinciale déclara que c’en était assez, et qu’au prix des rigueurs nécessaires on